Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

La Turquie à l’ère du Coronavirus Covid-19 : tour d'horizon

Article publié sur le petitjournal.com d'Istanbul pour moitié le 24 mars - seconde partie le 25 mars 2020

 

Le virus qui met la terre entière sens dessus dessous est arrivé tardivement en Turquie où le premier cas positif a été déclaré par les autorités le 11 mars et le premier décès une semaine plus tard. Avec 1236 cas et 30 morts comptabilisés au 22 mars au soir, comment est l'ambiance actuelle aux quatre coins du pays ?

Direction la belle petite cité de Kemaliye située au bord de l'Euphrate dans la province d'Erzincan au sud-est du pays. Environ 2620 habitants y séjournent en hiver... mais depuis une dizaine de jours, il manque les 320 pensionnaires de l’école supérieure des métiers et du lycée. En effet, comme toutes les écoles du pays, leurs portes ont été fermées. 

Dès le 3 mars, le Ministère de l’Education Nationale a demandé que tous les rassemblements et déplacements scolaires internationaux soient suspendus.

Les écoles primaires, collèges et lycées ont été mis en vacances pour une période d’une semaine à partir du 16 mars suivie d’un enseignement à distance d’une durée non déterminée. Trois semaines de congés ont aussi été décrétées à partir de la date précitée pour les universités turques.

Bülent, 44 ans, tient avec son père la plus grande supérette créée en 1997 dans le centre ville de Kemaliye. Par le passé, son oncle ainsi qu’un employé y travaillaient aussi mais les temps ont bien changé suite à l’arrivée il y a 3 ans d’un magasin d’une chaîne de hard discount. Si Bülent propose entre autres des produits locaux et régionaux de qualité, une bonne partie des clients a pris l’habitude de changer d’enseigne… 

 

Bülent servant un client dans sa supérette à Kemaliye, 23 mars 2020

Les horaires d’ouverture de son magasin sont actuellement allégés. D’habitude, il est ouvert dès 7 heures et jusqu’aux environs de minuit pour répondre aux besoins des jeunes pensionnaires devant rentrer pour 23 h et constituant une part non négligeable de ses habitués… Aujourd’hui ouvert de 9 h à 20 h, le créneau suffit amplement pour satisfaire une clientèle plus rare encore et qui passe en coup de vent faire ses achats sans prendre le temps de papoter comme à l’accoutumée.

Bülent estime que la population locale applique plutôt sérieusement les consignes de confinement souhaitées… Suite aux restrictions mises en place progressivement mais rapidement par les autorités turques, il n’y a plus personne dans les rues de Kemaliye. La mairie a procédé à la désinfection des rues. La dizaine de cafés et jardins à thés sont clos depuis mercredi dernier, les trois barbiers ayant, quant à eux, dû baisser leurs rideaux samedi soir. Sur les 4 restaurants, un seul pouvant proposer de la vente à emporter ainsi que la seule pâtisserie de la ville sont encore ouverts.

Depuis mardi 17 mars minuit, les cafés, cafétérias, jardins à thé, théâtres, cinémas, salles de mariages, de jeux, de spectacles et de concerts, casinos, pubs, tavernes, café et salons à narguilé, internet cafés, aires de jeux intérieures (notamment dans les centres commerciaux et restaurants), parcs d’attractions, piscines, hammams, spas,  saunas, thermes, salons de messages et centres sportifs sont fermés.

Coiffeurs, barbiers et salons de beauté sont fermés depuis samedi 21 mars 18 h.

Quant aux restaurants, pâtisseries et autres lieux identiques, ils peuvent seulement faire de la vente à emporter ou à livrer depuis dimanche 22 mars minuit.

Kemaliye, lieu touristique de passage très fréquenté dès le retour de la belle saison et qui accueille tous les ans fin juin - début juillet un festival international des sports naturels - où sont notamment pratiqués du basejump, du rafting et du trekking - risque bien de ne pas voir de visiteurs avant un bon moment… 

Le commerce de Bülent se remettra-t-il de ce nouveau coup dur ??? L’avenir nous le dira...

Destination Kars, dans l’est du pays. Ferman, 50 ans, est reparti lundi matin à son poste d’employé à la Faculté Vétérinaire de l’université Kafkas de la ville, de même que sa fille Gül qui y exerce la profession d’assistante de recherche en biochimie. Son épouse Tamile, cuisinière dans une entreprise vendant des tracteurs, a aussi repris le chemin du travail… 

 

Ferman et Tamile avec leurs mères respectives, Kars - 22 mars 2020

Pendant ce temps, Fatih, le fiston de 16 ans en classe de 11ème, est resté à la maison avec ses deux grands-mères. Celles-ci sont arrivées dimanche matin d’Istanbul dans un bus plein, avant l’entrée en vigueur du confinement pour les personnes âgées. Fatih poursuit pour l’heure son année scolaire à distance, comme ses camarades de classe.

Depuis samedi 21 mars minuit, confinement total pour les personnes âgées de plus de 65 ans et celles atteintes de maladies chroniques, notamment respiratoires. Plusieurs lignes téléphoniques ont été mises en place : 155 (police) - 156 (gendarmerie) - 112 (appels d'urgence avec opérateurs anglophones) et 153 (municipalité d’Istanbul) pour recevoir et effectuer les demandes d’aide (courses, médicaments, aide psychologique) aux personnes concernées habitant seules. Les contrevenants à cette injonction encourent une amende de 3500 TL, soit près de 500 Euros.

Si les membres de cette famille sont sensibles aux dangers du virus, il n’en est pas de même pour tous les habitants de Kars, loin s’en faut aux dires du maître de maison… 

En Mer Noire, un petit crochet par le village de Bayadı - environ 500 habitants presque tous âgés - à 11 km d’Ordu. Mübin, 41 ans dont 34 années passées en Alsace, y vit en permanence, à 500 mètres de la maison de ses parents à qui elle rend visite en général le soir venu. 

Mi-juillet 2019, elle a débuté un élevage d’oies et en possède actuellement 18 dont elle s’occupe avec beaucoup d’attention. La saison de ponte a commencé et d’ici mi-avril, une cinquantaine d’oisons devraient voir le jour dans la couveuse où reposent les oeufs. Mübin espère en proposer à la vente de même que des oies pour une consommation ultérieure de leur délicieuse chair.

 

Mübin et une partie de ses oies, village de Bayadı/Ordu - 23 mars 2020

L’arrivée du virus n’a pas changé grand chose à sa vie quotidienne si ce n’est qu’elle s’inquiète plus du sort de son mari Gökay qui travaille dans les services administratifs du tribunal d’Ordu. Sa maman âgée de 82 ans, qui panique facilement, est cloîtrée à la maison et son papa, 78 ans, qui a subi une opération cardiaque, s’occupe gentiment de son jardin. Gökay fait aussi office de coursier et approvisionne tout le monde. Tant son épouse que ses beaux-parents sont conscients du danger potentiel qu’il peut porter le virus et tous prennent un maximum de précautions au quotidien. 

Comment se passera l’évolution de la nouvelle activité de Mübin selon la durée de cette pandémie, là encore un grand point d’interrogation…

A Safranbolu, superbe petite ville anatolienne inscrite depuis 1994 au Patrimoine Mondial de l’Unesco, pas un touriste dans les rues qui d’habitude voient défiler, notamment les week-ends, un monde fou. La population locale respecte globalement bien les consignes.

Cahit, 44 ans, est instituteur à l’école primaire Aydınlık Evleri de Karabük à 10 km de là. Cet établissement a accueilli début février un groupe de 20 personnes francophones venant de 4 pays différents (Macédoine, Espagne, Roumanie et Belgique) dans le cadre de son programme Erasmus Plus pour lequel Cahit est l'interlocuteur principal.

Ses 26 élèves de 8 ans en 2ème classe ont démarré lundi 23 mars à 10 h leur premier cours de turc en ligne depuis la maison. D’abord 15 minutes de cours télévisé sur une des 3 chaînes nationales EBA TV mises en place pour l’enseignement à distance, puis reprise et répétition du cours sur Skype avec leur professeur, aussi pendant 15 minutes. S’en est suivi le cours de mathématiques de la même façon.

 

Cahit, instituteur à Karabük/Safranbolu durant son premier cours de turc à distance, 23 mars 2020

Les petits ont également passé ce matin-là une heure supplémentaire avec Cahit pour 30 minutes de turc et autant de maths étudiées à partir des documents préparés par l’instituteur.

Lui et ses collègues de l’école de Karabük ont suivi il y a déjà plusieurs années une formation sur EBA, la plate-forme d’éducation en ligne instaurée par le Ministère de l’Education Nationale, destinée tant aux enseignants qu’aux étudiants. Il l’utilise régulièrement et maîtrise parfaitement les autres outils préconisés, tels que WhatsApp, Skype et Wirecast, pour cette nouvelle façon d'enseigner que chacun doit s’approprier, qu’il s’agisse des professeurs, des élèves ou des parents.

La tournée du pays se poursuit à présent dans la région égéenne.

Necati, 59 ans, guide touristique licencié depuis 1984, est correspondant local d’une agence de voyage française. Il navigue entre Izmir et à 35 km de là au bord de la mer Egée la jolie petite station d’Iskele/Urla, où il s’est autoconfiné depuis plusieurs jours, faute de travail. Autant le week-end des 14-15 mars, les smyrniotes étaient venus en masse, autant les injonctions officielles limitant les déplacements aux seules obligations professionnelles et alimentaires semblent avoir porté leurs fruits, quasiment personne à l’horizon sur le bord de mer habituellement fort apprécié.

Vendredi 20 mars, le Président de la République turc a notamment demandé à la population “d'augmenter la distance sociale autant que possible et, surtout, de ne jamais sortir de la maison à moins que vous ne le deviez".

Pour éviter que les nerfs ne lâchent, Necati a cessé d’écouter les informations le matin, le soir étant largement suffisant. Il a pris le parti d’occuper ses journées à lire, regarder des films et effectuer des recherches sur les grandes pandémies tout au long de l’histoire. Et, ce qu’il voulait faire depuis longtemps, il cuisine... Par ailleurs, avec sa compagne, il joue au bésigue, un vieux jeu de cartes français qui se joue à deux, ça tombe bien !

Necati en mode autoconfinage, Iskele/Urla - 23 mars 2020

Concernant l’avenir du tourisme tant en Turquie - qui commençait à voir le bout du tunnel depuis l’an 2019 après 3 années de galère - qu’au niveau mondial, selon Necati : “C’est foutu jusqu’en avril 2021 ! Deux hypothèses : si l’épidémie se termine d’ici juin 2020, ce sera difficile de faire partir les gens durant les mois suivants ou bien à contrario, à force d’avoir été confinés durant des semaines, ils n’auront qu’une envie, voyager ! Mais la situation économique le permettra-t-elle ?

Une suspension des vols à destination de 9 pays européens - l’Allemagne, l'Espagne, la France, l'Autriche, la Norvège, le Danemark, la Suède, la Belgique et les Pays-Bas a été introduite ainsi que les entrées de passagers par tous les postes frontaliers à partir de samedi 14 mars 8 heures (minuit pour l'Azerbaïdjan et la Géorgie) jusqu’au 17 avril 2020.

A partir du 21 mars 17 heures, les vols vers 46 autres pays ont été interrompus dans le cadre des nouvelles mesures prises.

A 250 km au sud d’Urla, nous voici à Muğla où habite et travaille Damla, âgée de 22 ans. Un sourire permanent aux lèvres, ce petit bout de femme pétillant de vie est originaire d’un petit village situé dans le nord-est de la Turquie près de la frontière géorgienne. 

Titulaire d’un diplôme de spécialiste de la sécurité au travail et de la protection de la santé, elle est employée par le département construction d’une holding. Damla évolue avec aisance dans un environnement masculin sur les chantiers d’immeubles, son casque sur la tête et ses chaussures de sécurité aux pieds. 

 

Damla sur son chantier du moment à Muğla - 23 mars 2020

Dans ce secteur d’activité, hors de question, pour le moment, que les chantiers s’arrêtent ! La sécurité faisant partie intégrante de son quotidienne, elle oeuvre comme elle peut pour réduire tous les jours un peu plus les risques liés tant au travail des personnes qu’elle suit que pour ceux concernant le coronavirus, un danger invisible qui n’a pas fini de faire parler de lui…

Comment cela se passe-t-il dans les plus grandes villes de Turquie, en particulier à Istanbul ? Ce sera l’objet d’un prochain article et d’une visite virtuelle auprès de certains habitants de la mégapole, mais aussi d’Ankara et d’Izmir… Rendez-vous la semaine prochaine !

 

Pour les ressortissants français demeurant en Turquie, de nombreux renseignements et des mises à jour régulières sur le site du Consulat d’Istanbul :

https://istanbul.consulfrance.org/
  

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C
prends bien soin de toi <br /> Bises
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N
Merci Chantal, toi aussi... Je t'embrasse fort.<br />
I
Merci pour cet article qui nous a fait faire un tour du pays.<br /> Bonne journée confinée. :)
Répondre
N
Sağol İsmail, prends bien soin de toi.