Lundi 6 février 2023, 4h17, la terre tremble à Iskenderun

13 Mars 2023

Article publié dans la lettre aux abonnés de mars 2023 de la revue Le Monde de la Bible

Lundi 6 février 2023, 4h17, le père jésuite Antuan Ilgit, chancelier du vicariat latin catholique d’Anatolie à Iskenderun, est réveillé par une forte secousse. Il ne peut quitter son lit et répète inlassablement “Seigneur Jésus-Christ, aide-moi !" en priant. Le tremblement de terre semble durer une éternité, sa chambre est secouée plus que le berceau d’un bébé.

La secousse terminée, il se lève ; la petite maison qu’il habite dans le jardin de la cathédrale de l’Annonciation est indemne. Agi, hongroise membre du mouvement des Focolari, Luca et Enrico, deux volontaires italiens vivant avec eux, frappent à sa porte pour l’informer que la cathédrale est détruite. Le père Antuan n’en croit pas ses oreilles ! Elle est juste à côté de sa maison et seuls le clocher et l’abbaye sont restés debout. Si le clocher s’était effondré, il serait sans doute mort.

La cathédrale de l'Annonciation à Iskenderun, après le tremblement de terre du 6 février 2023

“Je suis entré dans la cathédrale réduite à un tas de décombres, suivi par nos 3 religieuses de la communauté du Verbe Incarné. Seul l'autel ainsi que les statues de la Vierge Marie et de Saint-Antoine sont debout ! Dire qu’il y a quelques heures à peine, j'ai célébré ici ma dernière messe dominicale ! Je me rends aussitôt au tabernacle pour récupérer les hosties bénites. Les membres de ma communauté commencent lentement à arriver. Arméniens, orthodoxes, nos voisins musulmans, notre cuisinière Jülide et son mari César,... Nous sommes au final une centaine de personnes réunies dans la peur et l'anxiété.

Je dois garder mon sang-froid. L’évêque est absent, il n’y a pas d’autres prêtres et, en tant que vicaire, je dois assumer la responsabilité de berger. Je commence par consoler tout le monde. Le réfectoire n'a pas été démoli et son toit est en bois, donc fiable. Je réunis tout le monde et notre nouvelle vie commence.

Le réfectoire est maintenant leur refuge, leur dortoir sert de chapelle où tous les jours est célébrée l’eucharistie même s’il est difficile de dire quelques mots de consolation à ceux qui ont tout perdu… Il faut cuisiner dans le noir, et John, le directeur de Caritas Anatolie ainsi que d'autres fidèles collaborateurs distribue de l’aide à ceux qui sont à l’extérieur dans le froid. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni gaz et le générateur tourne 1 heure par jour tant que le diesel est suffisant.

La cathédrale de l'Annonciation à Iskenderun, après le tremblement de terre du 6 février 2023

Le père Antuan se rend à la Sous-préfecture et attend de se connecter au réseau. Pendant qu’il télécharge ses messages, un cortège de camions se met à transporter les corps sortis des décombres, certains dans des cercueils, d'autres recouverts de draps, d'autres sans rien. Des hélicoptères tournoient dans le ciel, l'un d'eux transporte encore de l'eau pour éteindre le feu dans le port, les autres apportent une aide internationale. Il rencontre un groupe de sauveteurs asiatiques, puis un autre d’espagnols.

C'est le troisième jour après le sinistre. Il marche vers les quartiers où il y a beaucoup d'immeubles effondrés dont un abrite une famille chrétienne. Il rencontre un de ses paroissiens, un pauvre qui vit seul qui lui demande de le bénir avant de lui donner 5 pide (pain turc) à donner aux "autres". Le prêtre ne peut les accepter, l’homme insiste. De Mersin vient le Père franciscain capucin Roshan avec un camion plein de vivres et d'eau qui sont distribués pour partie à la cathédrale et la communauté arménienne avant que le père Roshan ne continue sa route pour Antioche, qui a subi des dégâts énormes. Quelqu'un dit à Antuan : "Père, comparé à Antioche, Iskenderun est un paradis !"

La cathédrale de l'Annonciation à Iskenderun, après le tremblement de terre du 6 février 2023

John, le directeur de Caritas Anatolia est de retour et se démène pour distribuer l'aide. En attendant, ceux qui s'étaient réfugiés à la cathédrale partent vers d'autres villes mais d'autres sans-abris arrivent.

Devant l'autel de marbre, Antuan regarde la Madone toujours debout et se dit “Ici, nous allons encore célébrer et bientôt !”

La madonne de la cathédrale de l'Annonciation à Iskenderun, après le tremblement de terre du 6 février 2023

İskenderun fait partie de la province d’Antioche dont la ville qui porte ce nom, située à 60 km de là, est un des hauts lieux du christianisme ; les disciples de Jésus reçurent pour la première fois le nom de "chrétien", comme en témoignent les Actes des Apôtres. Tant Antioche qu’Iskenderun sont connues comme des cités de tolérance et d’amitié entre les différentes communautés musulmanes, chrétiennes et juives qui y habitent. La grotte-église de Saint-Pierre ainsi que le magnifique musée archéologique d’Antioche abritant notamment les superbes mosaïques romaines trouvées à Harbiye et la mosquée Habib-i Neccar ne sont qu’une partie du patrimoine historique de la ville, gravement endommagée par les tremblements de terre du 6 février.

La grotte-église de Saint-Pierre à Antioche

NB : Au 7 mars, les deux séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie ont causé la mort de 44 374 personnes en Turquie et 5 951 en Syrie.