Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

L'I.F.E.A. d'Istanbul, près de 80 ans au service de la recherche

En 1929, René Dussaud, conservateur en chef du département des Antiquités orientales du Musée du Louvre, propose au Ministère des Affaires Etrangères  la création d'une station destinée aux archéologues français en Turquie afin de redynamiser les missions organisées dans le pays  au cours du XIXème siècle.


C'est ainsi que sera
inauguré le 1er octobre 1930 l'Institut Français d'Etudes Anatoliennes, plus connu sous le nom d'I.F.E.A. Il occupe, depuis sa création, le bâtiment de l'ancien drogmanat de l'Ambassade de France à Istanbul construit en 1874.  C'est là qu'oeuvraient les drogman, traducteurs recrutés dans les populations chrétiennes et attachés aux représentations diplomatiques européennes.
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                                      Le bâtiment qui abrite l'I.F.E.A. d'Istanbul

Le premier directeur de l'IFEA sera Albert Gabriel, professeur à l'Université de Strasbourg et archéologue de renom, spécialiste de l'Anatolie et de l'architecture seldjoukide. Il dirigera d'ailleurs à deux reprises l'Institut, de 1930 à 1941 et de 1945 à 1956.

D'éminents archéologues (tels Louis Robert, Emmanuel Laroche, Henri Metzger, pour n'en citer que quelques uns) seront à la tête de l'Institut. Par la suite, des chercheurs et historiens (tels Jean-Louis Bacqué-Grammont) vont le diriger.

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                                   Henri Metzger, photo trouvée sur le net


Depuis 2008, et pour la première fois de son histoire, c'est une femme qui en tient les rênes, Nora Şeni, historienne elle aussi, auteur de nombreux ouvrages, notamment sur l'histoire d'Istanbul.

Au fil du temps, les fonctions de l'I.F.E.A. se sont diversifiées avec un accent porté sur les études contemporaines de la ville, le développement durable, les politiques culturelles et la politique en général.

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                                                                     L'I.F.E.A. d'Istanbul


Plusieurs pôles ont ainsi vu le jour, tel par exemple depuis 1988 l'O.U.I., Observatoire Urbain d'Istanbul, qui s'intéresse particulièrement, comme son nom l'indique, au développement urbain de la ville.
 
 Rattaché à l'I.F.E.A, l'Observatoire du Caucase, créé en 2002, et dont l'antenne est à Bakou, permet d'avoir une structure de recherche sur cette région du monde et d'élargir les échanges entre la France et l'Azerbaïdjan.

En 2005, c'est au tour de l'O.V.I.P.O.T., observatoire consacré à l'étude et l'analyse de la vie politique en Turquie, de voir le jour.

Depuis 2007, l'I.F.E.A. est aussi un laboratoire C.N.R.S. qui permet d'accueillir des chercheurs affectés par le Centre National de Recherche Scientifique.

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                                           Dans le département cartographie de l'I.F.E.A.

Nora Şeni, comme ses prédécesseurs, a ramené dans ses valises un certain nombre d'idées et de projets à mener à bien au sein de l'I.F.E.A. Elle est ainsi à l'origine de la création, en septembre 2008, d'un pôle de recherche sur les politiques culturelles  de la ville, notamment dans le cadre d'Istanbul 2010, capitale culturelle européenne. En effet, de nombreux acteurs privés de la politique culturelle, issus de grandes familles, renforcent les politiques diplomatiques et urbaines en créant des musées de qualité et en donnant une image dynamique et contemporaine d'Istanbul.

Comme le dit Nora Şeni, "c'est passionnant d'analyser la mise en oeuvre d'initiatives d'intérêt commun dont les acteurs principaux ne sont pas des élus mais des grandes familles qui créent un patrimoine culturel artistique durable et de qualité". De même, sont étudiées dans le cadre de l'I.F.E.A. les mutations  du  paysage culturel auquel travaille l'IKSV (La Fondation pour la Culture et les Arts à Istanbul) depuis une vingtaine d'années.

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                                Nora Şeni, directrice de l'I.F.E.A. d'Istanbul

La dynamique directrice a également initié la création d'un pôle de réflexion  et de débats sur les politiques européennes de la Mer Noire.

Depuis son arrivée il y a bientôt deux ans, Nora Şeni a tenu à renforcer les liens de l'Institut avec les universités et musées turcs et à ouvrir l'I.F.E.A. au public de façon plus marquée.
Un nouveau site internet, désormais bilingue (français et turc) a vu le jour, une newsletter électronique mensuelle (en français et en turc) renseigne sur l'offre de séminaires (quasiment un sujet différent traité chaque jour, d'octobre à mai) pour faire de l'I.F.E.A. un lieu ouvert à tous, où l'on débat des enjeux contemporains. Ces rencontres sont filmées et mises en ligne sur le site de l'Institut. De même,  les textes de certaines de ces conférences sont traduits et publiés dans le mensuel d'histoire Toplumsal Tarih.

La bibliothèque, comprenant près de 30 000 ouvrages, est aussi un maillon fort
de l'Institut. Ouverte à tous, elle comprend notamment un fonds unique de récits de voyageurs en plusieurs langues.
 
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                                                       Dans la bibliothèque de l'I.F.E.A.


Une politique commune des achats a été adoptée depuis environ deux ans avec des bibliothèques turques et étrangères sises dans le même quartier que l'I.F.E.A. (tel le Research Center for Anatolian Civilizations de l'Université Koç). Un projet de numérisation des livres a été lancé fin 2009, en partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France, la Bibliothèque Atatürk et le Centre de Recherches de la Banque Ottomane à Istanbul.

La bibliothèque de l'I.F.E.A. possède également un fonds cartographique d'environ 2000 cartes, dont certaines remontent au XVIème siècle... et qui font l'objet  d'un programme de digitalisation déjà bien avancé.

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                 Plan d'Istanbul datant de 1882, mis à disposition par les services de l'I.F.E.A.

Les lecteurs comprendront l'immense richesse qu'abritent ces murs, tant en terme de documents que de connaissances humaines. D'éminents chercheurs spécialistes de l'Orient sont passés par l'I.F.E.A. et y ont séjourné plus ou moins longtemps, soit pendant la préparation de leur thèse de doctorat, soit comme stagiaires, soit comme pensionnaires-chercheurs.
 
Ces savants, qui ont mis leur passion au service de l'histoire, de l'archéologie, de la politique ou de l'urbanisme, continuent de bâtir un véritable patrimoine scientifique  qu'ils lègueront aux générations futures.


Pour tout savoir si l'IFEA
et notamment sur le programme des conférences et séminaires   http://www.ifea-istanbul.net/



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C
<br /> merci pour ce volet culturel très interessant<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Bien que connaissant pas mal de facettes de l'I.F.E.A., j'ai appris à en connaître bien plus grâce à la réalisation de cet article.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Très intéressant cet article !<br /> Ah le drogman ... j'ai appris ce mot en lisantLotià une époque ou Uskudar s'appelait Scutari.<br /> Je ne sais si c'est une référence pour la cartographie mais j'avais découvert une belle librairie vendant des reporductions : Istanbul Kitapisi sur Istiklal Caddesi. Ceci peut peut être intéresser<br /> le précédent commentateur.<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Istanbul Kitabevi est la librairie de la ville d'Istanbul, j'y avais d'ailleurs consacré un article il y a déjà longtemps car c'est une très bonne adresse pour beaucoup de choses (livres, cd<br /> notamment). On ne trouvera pas les mêmes cartes qu'à l'IFEA, c'est certain, mais il y a de la matière qui peut en intéresser plus d'un... Quant aux drogman, cela méritera bien un jour un article<br /> spécifique.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Tu me fais bien plaisir avec cet article, car l'IFEA est un site que je suis régulièrement. Et combien de fois me suis-je dit en lisant les annonces de conférences, si seulement je pouvais y<br /> assister.<br /> L'OVIPOT est également fortement à conseiller. L'un des rares sites "honnêtes", sans parti-pris dans ses articles sur la Turquie actuelle et sa politique. Car, pour répondre à Richard, il ne s'agit<br /> pas de politique au sens politicien mais de sciences politiques tout comme on trouve au sein de l'IFEA de l'archéologie, de l'histoire ottomane, de l'histoire moderne et contemporaine ou bien de la<br /> géographie.<br /> <br /> Au fait, Nathalie, sais-tu si il existe des reproductions à acheter du plan d'Istanbul de 1882 que tu nous présentes en dernière photo? Dans mon bureau à côté de la reproduction du plan de<br /> Constantinople de 1566/1574 et le plan du port de La Valette ça irait très bien. Et puis avec des posters de cette taille, je n'aurais pas besoin de retapisser!!!! (hihihi...)<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> On peut acheter à l'IFEA des repros des plans digitalisés. Je te donne plus d'infos par mail.<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Peu me chaut que ce soit la Turquie ou le fruit de prises de position internes à l'I.F.E.A.<br /> Là n'est pas l'important dans ce mien commentaire ; et donc je persiste et signe quant à ce que j'écris dans mon dernier paragraphe.<br /> <br /> Certes il faut "évoluer avec son temps", comme tu le fais remarquer, mais alors il eût fallu, à mon sens, créer un autre organisme et ne pas se servir de l'archéologie pour déboucher sur la<br /> politique !<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Le jour où tu viendras à Istanbul, je te propose de prendre rdv à l'I.F.E.A. pour que les principaux concernés puissent t'expliquer l'évolution de l'Institut bien que moi. Cela ne peut pas se<br /> résumer en quelques lignes. Le nom de l'Institut évoque bien les études anatoliennes... cela ne se résume pas aux recherches archéologiques !<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Voici un intéressant article permettant de découvrir les liens existant entre la France et la Turquie dans le domaine des recherches archéologiques.<br /> <br /> Alors qu'au tout point de départ, en octobre 1930, l'organisme portait bien le nom de Institut français d'archéologie d'Istanbul, je ne comprends pas très bien les raisons qui ont poussé la Turquie<br /> au fil des ans de l'ouvrir à la politique, qu'elle soit culturelle ou plus générale.<br /> <br /> C'était, à mon sens, dans l'esprit de son créateur, un outil qui ne devait servir que les recherches historiques et archéologiques, et non pas être "dévoyé" vers la politique, ressortissant quant à<br /> elle à d'autres domaines, et relevant d'autres ministères ...<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Ce n'est pas la Turquie qui a poussé l'I.F.E.A. à s'ouvrir sur d'autres recherches, ce sont des décisions internes de l'Institut ... Les recherches archéologiques actuelles, menées par des<br /> missions françaises, ne sont plus aussi nombreuses que par le passé et il faut évoluer avec son temps. Le vivier des chercheurs est bien plus étoffé qu'on ne le pense...<br /> <br /> <br /> <br />