Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

Ergün Demir, un artiste-né

En Turquie, aux yeux du grand public, le nom d'Ergün Demir évoque celui d'Ali Kemal Evliyaoğlu, le rôle qu'il endosse depuis près de 3 ans dans une des dizi  - série télévisée - les plus populaires, "Binbir gece" (1001 nuits).

Mais au-delà de ce rôle, c'est un véritable artiste aux talents les plus divers qui mérite d'être bien plus connu ... et reconnu.

 

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                            Ergün Demir, acteur - photo mise à disposition                                       

Décembre 1969 voit naître à Giresun Ergün Demir, 2ème garçon de la  famille. En 1972, son père troque sa veste d'instituteur contre un bleu de travail et décide d'aller tenter sa chance en Europe. L'Allemagne, où il souhaite se rendre, a atteint le quota de travailleurs étrangers et c'est finalement en France que sa route l'amène. La famille vient le rejoindre en 1974 et vit durant trois ans dans des conditions difficiles dans un hameau situé sur la RN 10, à 25 km de Chartres.

 

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Ergün est à droite, entouré de sa maman, de son frère aîné et de sa soeur, la cadette - photo mise à disposition

C'est un artiste-né, sans aucun doute. A six ans, il fait déjà de la mise en scène dans les cours de récréation. Dès les premières années de sa scolarité, il écrit des poèmes, lit beaucoup, dessine, est curieux et avide de savoir. Très jeune, il est persuadé d'avoir une destinée singulière. De par ses occupations, il se retrouve un peu à l'écart par rapport à ses petits copains.

Il se souvient avec émotion de la classe de neige organisée lorsqu'il a 9 ans, ses parents étant les seuls à ne pouvoir la lui financer. Les familles des autres enfants de la classe se mobilisent pour acheter l'équipement nécessaire, seul le voyage reste à la charge de la famille. Ergün dit alors commencer à se sentir accepté.

En CM2, il découvre le "Petit Prince" de Saint-Exupéry, mis en scène par son institutrice. Il y joue son premier rôle, celui de l'ivrogne. C'est un déclic pour lui "Je serai acteur !"

                            
                                 Classe de CM2, 1980 - photo mise à disposition

A l'âge de 10 ans, le cadeau de Noël de l'entreprise où travaille son père est ... une guitare. Cet instrument devient un compagnon pour Ergün et la musique une autre matière artistique où son talent va pouvoir s'exprimer.

Le goût de la langue qu'il manie avec délectation, avec toutes ses subtilités et son raffinement, Ergün le doit à Patrick Sauzet, son professeur de français en 5ème et 4ème, dont il garde des souvenirs très forts.

Il est obligé de quitter l'école à 16 ans afin d'apporter sa contribution pour nourrir les sept bouches de la famille qui s'est agrandie depuis son arrivée en France. Il effectue des petits travaux en usine mais poursuit simultanément des études littéraires et philosophiques au CNED. Il échoue au BAC, un de ses grands regrets.

A partir de 18 ans et durant 4 ans, il suit,  au Théâtre National de Chartres, des cours donnés par Jacques Kraemer, un grand nom dans le milieu de la mise en scène.

Durant cette période, Ergün rencontre également Jean-Louis Charret, professeur de guitare aujourd'hui décédé, qui lui fera profiter de son immense talent de pédagogue. Il arrive ensuite à convaincre le célèbre Roland Dyens, concertiste qui parcourt le monde avec sa guitare, de trouver du temps durant ses séjours parisiens, pour lui donner des cours qui lui permettront de se présenter au concours d'entrée à l'Ecole Nationale de Musique.

 

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                          Ergün, talentueux guitariste - photo mise à disposition

En tant qu'étranger, il ne peut  se présenter au concours d’entrée au Conservatoire National d'Art Dramatique de Paris. Par contre, il réussit celui qui lui permet d’intégrer l'IPJA (Institut pour les Jeunes Artistes) où il va rester 4 ans et apprendre le métier d’acteur. Jean Darnel, fondateur et dirigeant de l'IPJA, dira de lui qu'"il fait partie de ces rares artistes congénitaux condamnés aux rôles-titres".

En parallèle de la formation professionnelle dispensée à l'Institut pour les Jeunes Artistes, il réussit le fameux concours d'entrée à l'Ecole Normale de musique de Paris dirigée, à l'époque, par Pierre Petit. La musique et le théâtre vont faire bon ménage. 

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Ergün campe, entre autres, les rôles d'Hamlet, Mac Beth, Néron, Antiochus, Lennie ; il joue dans maintes pièces classiques durant de nombreuses années. Il  aime le théâtre mais son rêve est le cinéma. Il n'arrive qu'à décrocher des rôles de figurant dans des films tels que "Les Boeuf-carottes", "Belle-maman",  et "Ma petite entreprise". Il joue par contre, plus tard, le rôle-titre d'un court-métrage "Danjeureux", une expérience finalement très enrichissante.

En 2000, lorsqu’il passe au Théâtre du Châtelet dans une pièce  mise en scène par Jean-Pierre Vincent ("Mithridate"), ce dernier lui dit que "Le secret pour arriver, c'est trouver la patience dans l'impatience". 

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En 2002, il prend sa plume et écrit un long métrage "Pristina 89" sur la rébellion de la capitale du Kosovo. Cette oeuvre est actuellement entre les mains d'un producteur... Affaire à suivre !

En 2004, il fait une première apparition dans une série télévisée turque "Parmak izi".

Après son divorce, un ami lui propose d'aller tenter sa chance à Broadway et Ergün se sent prêt. En septembre 2004, il fait un bref détour en Turquie pour saluer sa famille avant son départ pour les Etats-Unis. Il rencontre alors Aylan Algan, comédienne, actrice et chanteuse de renommée. Cette dernière lui propose de donner des cours de théâtre et de faire profiter les élèves de l'"Ekol Drama Sanat Evi" de son savoir. Finalement, Ergün ne partira pas aux Etats-Unis, le destin en a voulu autrement.

  theatre-076-copy.jpg                                              Entouré de ses élèves à l'école Drama


En 2005, il obtiendra un rôle dans une autre série télévisée Aşkın Zaferi. L'année suivante, il jouera dans la série Hacı et enfın dans cette autre qui bat des records d'audience Binbir gece, composée de 95 épisodes pour laquelle il tourne encore aujourd'hui, ce jusqu'en juin 2009.

En 2005-06, Ergün est l'ambassadeur des théâtres de la ville d'Istanbul, à la demande de l'acteur Mazlum Kiper. La culture française sera davantage représentée durant cette période. Ergün montera "Le malade imaginaire" en turc avec un metteur en scène venu de France.

En 2006, il met en scène "Le Petit Prince" en turc, avec une troupe constituée d'élèves issus de l'Ekol Drama Sanat Evi, cette oeuvre qui fut un déclic pour lui, il y a si longtemps.  Un an de répétitions et de travail, la pièce est prête.

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La troupe du "Petit Prince" au Palais de France lors de la soirée littéraire donnée en janvier dernier en l'honneur du Prix Nobel de Littérature

En dehors de ses tournages et des cours de théâtre à l'Ekol Drama, Ergün donne des cours d'"art thérapie" à des jeunes de 12 à 14 ans atteints de troubles neuropsychologiques, à raison d'une demi-journée par semaine.

Des projets, il en a plusieurs :
- présenter le "Petit Prince" à l'occasion d'une tournée nationale, voire même le montrer au public français, mais pour cela il faut trouver des sponsors... Avis aux amateurs !
- faire produire son long-métrage "Pristina 89"
- pourquoi pas poursuivre sa carrière d'acteur en France, si de nouvelles portes s'ouvrent à lui.

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                                                Soir de cours à l'Ekol Drama

Ergün a su rester simple et garder les pieds sur terre. A Istanbul, il ne vit pas dans un quartier chic et branché de la ville mais au milieu de ses livres, dans le 90 m2 qu'il a pu s'acheter à l'âge de 22 ans grâce à ses premiers cachets. Il n'a pas de voiture et se déplace en autobus et en tram et en profite pour lire.

La France, qui lui a accordé la nationalité française le 10 décembre 2008 (jour de son anniversaire) est le pays dans lequel il aurait voulu être né "car ce pays n'a pas d'équivalent au niveau de la culture".

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Ergün n'a jamais oublié ses origines, sait d'où il vient et son charisme n'en est que plus grand. Profondément humain, chaleureux et généreux, il a bien compris que pour recevoir, il fallait d'abord donner.

Combien de fois, il a mis son temps à la disposition des autres, bénévolement, pour faire plaisir, rendre service. Je ne peux que lui souhaiter de recevoir autant en retour, il le mérite amplement.

 

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R
C'est agréable de voir qu'enfant il avais déjà du talent ,c'est dommage que dans nos banlieus riches de diversités ,on ne découvre pas plus de future talent comme lui .
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N
<br /> Il y a sans doute plein de personnes talentueuses, encore faut-il qu'elles le sachent et qu'on les découvre...<br /> <br /> <br />
L
Quel beau parcours - son visage reflète le bonheur de vivre, vraiment sympathique - à plus
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N
<br /> Oui, il est vraiment très sympathique et j'ai beaucoup de plaisir à le connaître.<br /> <br /> <br />
I
un joli parcours et beaucoup de succès, très bon acteur qui mérite d'être encore plus connu.
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N
<br /> <br /> C'est un excellent acteur, comédien et musicien... cela en fait du talent !<br /> <br /> <br /> <br />
M
J'avais pas vu... Wouahou Beau gosse ....
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N
<br /> <br /> On s'intéresse à son parcours et à son talent...<br /> <br /> <br /> <br />
M
“J’aurais voulu être né en France car ce pays n’a pas d’équivalent au niveau de la culture” dit-il. Je suis d’accord avec lui. La Turquie n’est pas un pays facile à vivre, surtout pas pour les artistes puisqu’ils ne sont soutenus ni par le peuple ni par l’État. La culture traditionnelle anatolienne empoisonnée de plus en plus par l’islamisme rejette toute activité artistique issue de l’Occident (théâtre, cinéma, opéra, ballet, musique classique, etc.). La grande majorité du peuple turc ne va même pas une fois dans sa vie au théâtre municipal. Les films ayant des scénarios sérieux et intellectuels ne sont pas préférés par les spectateurs qui affluent aux cinémas pour regarder Recep Ivedik! Dans ces conditions, comment un acteur comme Ergün Demir qui veut vraiement faire de l’art peut-il garder l’optimisme et espérer réaliser ses projets en Turquie? Je lui souhaite bonne chance vraiement.
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N
<br /> Je suis d'accord avec le sentiment d'Ergün quant à ce la qualité de la culture en France. Mais je te trouve bien sévère quant au traitement de l'art en Turquie. Je dois dire que j'ai tout de même<br /> été agréablement surprise durant ces années de vie à Istanbul où je vois que l'art est bien présent sous toutes ses formes et continue de se développer. Crois-tu qu'en France, la majorité des<br /> français est allée au moins une fois dans sa vie au théâtre municipal ??? Si c'est le cas, je pense malheureusement que tu te trompes. Il n'y a pas que des intellectuels non plus... Tous les goûts<br /> sont dans la nature et je pense qu'il faut les respecter. On ne peut pas demander à tout le monde de comprendre et d'apprécier ce qu'on appelle l'art avec un grand A. Toutes mes amitiés.<br /> <br /> <br />
R
Avec évidemment 2 M à "accommodements" !!!!!!
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N
<br /> Of course !<br /> <br /> <br />
R
Je crois très honnêtement - expérience d'une vie professionnelle terminée - que tu as mis le doigt sur la philosophie même de la vie pleinement réussie : vivre sa passion; et, éventuellement, mais c'est finalement secondaire, en vivre.<br /> <br /> Car être passionné, en quoi que ce soit, et pouvoir librement l'exprimer, d'une manière ou d'une autre, c'est à mes yeux l'essentiel, l'Essence même de la Vie, avec un E et un V en immenses majuscules !<br /> <br /> Et le reste n'est qu'accomodements ...
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N
<br /> <br /> Je dirais que pouvoir en vivre, c'est joindre l'utile à l'agréable. Même si je me plais énormément dans mes fonctions financières à mi-temps au  milieu d'une équipe jeune et dynamique, si<br /> j'occupais actuellement ce poste à temps plein, je ne pourrais vivre ma-mes passions aussi intensément. On ne peut pas tout avoir et la liberté a également un prix... que j'ai été prête à<br /> payer... en attendant de pouvoir faire mieux encore !<br /> <br /> <br /> <br />
V
C'est beau d'aller au bout de ces passions, très bel article Nathalie!
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N
<br /> <br /> Pouvoir vivre ses passions, c'est super et pouvoir en vivre, c'est encore mieux !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Très bel article et superbe parcours!<br /> <br /> J'espère qu'il ne regrette pas de ne pas être aller à Broadway, mais vu la description que tu fais, je ne crois pas qu'il s'y serait senti bien dans sa peau.<br /> <br /> Et je crois que nous pouvons toutes et tous être fiers de le compter désormais parmi nos compatriotes!
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N
<br /> <br /> Il représente dignement la France en effet, c'est le moins qu'on puisse dire.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Un beau parcours et un émouvant portrait d'artiste!
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N
<br /> <br /> Oui, beaucoup d'émotion !<br /> <br /> <br /> <br />