Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

A la rencontre des “Gueules noires” de Zonguldak

Article publié dans "Aujourd'hui la Turquie" de septembre 2008

 

Dans cette région de la Mer Noire à environ 350 km d’Istanbul, 10300 « gueules noires » et leur famille, soit quelques 50000 personnes, vivent grâce à la richesse extraite du sous-sol.


                                     
                                 Madenci - mineur de Zonguldak sur le site d'Üzülmez


Les premières traces de charbon sont découvertes par un certain Uzun Mehmet le 8.11.1829 et les délimitations du bassin houiller établies 20 ans après. Le contrôle des exploitations se fait durant la guerre de Crimée par les Anglais et les Français.


      
                                Les alignements de lampes et de grisoumètres 
                        

Entre 1854 et 1920, ces derniers viennent apporter leur savoir-faire dans ce domaine comme, par exemple, la construction de corons, ces habitations ouvrières typiques destinées aux familles de mineurs.

 

De nombreux grecs et arméniens renflouent les troupes les premières années pour subvenir aux besoins humains. En 1924, la première école d’ingénieur des Mines ouvre ses portes à Zonguldak. Depuis le début, ni femmes, ni jeunes non majeurs ne travaillent au fond des mines turques.

 

           
                           Une "gueule noire" parmi tant d'autres

Comme dans toute exploitation minière, le risque de coup de grisou existe. Entre 1939 et 1992, 9 explosions prennent la vie à 536 âmes…. La plus importante date du 3 mars 1992 : le bilan se monte à 263 décès, le plus lourd de tous les temps dans ce secteur.


              
                                    Le chevalement du puits 1 d'Üzülmez
 

Les mineurs de Zonguldak organisent la plus importante marche ouvrière du pays. Après 4 semaines de grève, près de 150 000 personnes, hommes et familles, se rendent à pied jusqu’à Ankara entre le 4 et le 8 janvier 1991 afin de faire pression auprès des pouvoirs publics pour faire entendre leurs revendications.

 

5 mines sont en activité à ce jour : Üzülmez, Kozlu, Karadan la plus grande, Kandilli et celle d’Amasra dans la ville du même nom, la plus petite.


  
                        Les wagons qui transportent inlassablement le charbon extrait
 

Durant la période glorieuse, en 1980, la main d’œuvre totale se monte à … 30 000 personnes qui extraient 6 millions 600 000 t. de houille non lavée.

 

Üzülmez, c’est la mine que j’ai découverte. 2500 personnes y travaillent, dont 2000 au fond et 500 au jour…Son  exploitation démarre au début du XXème siècle.


                    
                                   Station de lavage du charbon d'Üzülmez
 

1800 tonnes de charbon en sont extraites, soit 1200 t. après lavage. Sur l’ensemble des sites, ce sont  2 millions 500 000 t. destinées à la vente qui sont produites en 2007.


 
                                                 Le précieux minerais


C’est un univers rempli d’une odeur particulière, et où la machine remonte le temps. Vêtue d’une tenue de mineur où la lampe et le grisoumètre sont indispensables, c’est la descente à plus de 300 m de profondeur avec la cage d’ascenseur qui m’envoie 100 ans plus tôt. Il faut emprunter un train miniature où l’on courbe l’échine pour y rentrer. 

  
                                           L'équipement du parfait mineur

Une dizaine de minutes de route avant d’emprunter à pied un long chemin sombre et boueux pour atteindre … un wagonnet sur lequel il va falloir grimper avant d’escalader des tas de charbons pour arriver à la partie exploitée.


           
                                            C'est sportif !  


Pour atteindre le précieux minerai, des puits sont forés à la verticale, le système de liaison avec la surface est mis en place ; dans les « salles » qui vont être traitées, on installe un système d’étai pour soutenir les plafonds et éviter les affaissements.

 

Les différentes veines (couches) charbonneuses sont creusées à l’horizontale. La houille récoltée glisse par le biais de «bandes » vers les wagonnets qui, une fois remplis, seront ramenés à la surface par un système d’ascenseurs pour être lavée.


           
                              Une des salles en cours d'exploitation 


Je ne pourrai jamais oublier le visage de ces hommes côtoyés durant deux bonnes heures au fond. Malgré des conditions de travail pénibles dans le noir et la poussière, ils gardent le sourire et la bonne humeur.



                                  La pause casse-croûte avec les mineurs

Les « Gueules noires » turques ont encore des années de labeur devant elles, 28 km de galeries restent à exploiter.

 

Le Premier Ministre turc s’est rendu début juillet 2008 à la mine de Kozlu et a promis l’embauche de 3000 mineurs pour compenser des départs à la retraite.

  
Entourée de gauche à droite par un chef d'équipe du puits visité, Turan ingénieur des mines chargé de la visite et deux collègues du fond
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Sur le prochain billet, vous découvrirez pourquoi et comment je suis allée au fond de la mine avec les madenci, les mineurs.

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M
Tu n'as vraiment pas l'air rassuré sur les photos! Mais je te comprends, car je ne sais pas si j'aurais franchi le pas pour descendre au "fond de la mine".
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N
<br /> C'était mon état de fébrilité et de stress avant la descente qui doit transparaître sur les photos.<br /> <br /> <br />
D
Les photos et le texte me touchent beaucoup et en bonus les "commentaires" qui témoignent de leur expérience.Merci à tous.
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N
<br /> Ces "gueules noires" m'ont touchée beaucoup aussi.<br /> <br /> <br />
I
Intéressant. En tous cas la Turquie n'est pas auto-suffisante en charbon de chauffage.<br /> <br /> Je me chauffe au charbon (collectif) depuis que je suis installé en Turquie (5 ans) et on nous fais toujours acheter le Ukranya ou le Sibirya ... au prix fort, car le charbon turc serait de moins bonne qualité.<br /> <br /> Cette année +60% d'augmentation par rapport a l'année dernière si on se base sur le dollar et +40 % si on se base sur la lire turque (a cause de la baisse du dollar entre temps).<br /> <br /> Je paye quasiment autant de frais de chauffages que quand j'étais en France (avec des contraintes climatiques différentes c'est vrai). Vivement le gaz naturel !
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N
<br /> Merci pour ce complément d'informations. J'ai appris hier qu'il existait d'autres "petites" mines du côté d'Erzurum et que dans la région de Zonguldak, il y a pas de mal de mines non officielles...<br /> <br /> <br />
J
C'est Emile Zola qui revient à la surface.<br /> La paradoxe des "Gueueles noires" éclairées par leur lanterne.<br /> Cette station de lavae me rappelle les Hauts-fourneaux de ma région.<br /> Quel stress de savoir qu'un coup de grisou peut arriver n'importe quand.<br /> Tu n'as pas l'air très rassurée sur la photo.<br /> Quel courage, de la part ces mineurs, tout de même.<br /> Á demain.
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N
<br /> C'était la partie "escalade" durant laquelle je n'étais vraiment pas rassurée avec mes bottes de sept lieux trois fois trop grandes pour mes petits pieds.<br /> <br /> <br />
R
Très bel hommage, en effet, à ces hommes qui ont tout donné pour que d'autres puissent profiter de l'or noir dans leurs foyers - au sens propre comme au figuré -, ou, pour de nombreux patrons capitalistes appuyés par certains Etats, la Belgique en tête, malheureusement, profiter de "l'or" tout court, qui remplissait leurs poches.)<br /> <br /> J'avais 8 ans, mais m'en souviens comme d'hier - car, peu ou prou, de très nombreuses familles furent touchées -, quand la Wallonie, au "Bois-du-Cazier", à Marcinelle, en 1956, paya elle aussi un très lourd tribut : plus de 260 ne revirent jamais la lumière de ce jour-là.<br /> <br /> Merci, indépendamment de votre propre prouesse, d'évoquer ces gueules noires d'aujourd'hui : votre article permet probablement à beaucoup d'entre nous d'avoir ne fût-ce qu'une pensée pour tous ceux qui ont laissé leur vie au fond de la mine.
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N
<br /> Vous verrez dans mon billet d'aujourd'hui que pour moi aussi, les mines font partie un peu de ma "première" vie.<br /> <br /> <br />
C
Là tu m'épates! descendre là-dedans...<br /> Le poids des mots le choc des photos! lol<br /> Interessant et vivement la suite.
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N
<br /> Je me suis épatée moi-même, quelle émotion pour moi !<br /> <br /> <br />
V
Beau reportage, quel courage!!! Par contre on aurait aimé un peut plus d'esprit critique sur le contrôle et l'exploitation des mines et surtout des miniers par les Français pour leur propres affaires. Bref ne pas montrer que "les effets positifs de la colonisation" comme dirait l'autre.<br /> <br /> Bye.
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N
<br /> Le problème, c'est que l'exploitation et le contrôle des mines par les Français entre autres remonte à il y a bien longtemps... et je n'étais pas née. Mais ce serait intéressant comme sujet en<br /> effet.<br /> <br /> <br />
T
cela me fait repenser à mes souvenirs d'enfance ,dans les corons du nord - Pas de Calais ,au temps où mon père avait préféré les mines , pour les avantages évidents ,maison , charbon ,bois , électricité gratuite ,mais hélas cette silicose qui a rendu riches des veuves reconnaissantes , par des monuments funéraires luxueux.<br /> et c'est au moment où les machines ont remplacé l'homme et la poussière que les mines ont fermé.<br /> De plus ils ont coulé du béton , ce qui rend une nouvelle exploitation impossible , maintenant que le charbon pourrait reprendre sa place , vu les prix du pétrole
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N
<br /> Je vois que tu as connu cet environnement de près...<br /> <br /> <br />
A
Salut Nat,<br /> Toujours intrépide à ce que je vois!<br /> Merci de nous faire vivre la vie de ces mineurs.<br /> Ca doit être impressionnant de descendre dans les mines.
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N
<br /> C'était pour moi véritablement un moment inoubliable.<br /> <br /> <br />
C
au Nord y'avait les corons<br /> le ciel s'était l'horizon <br /> les hommes les mineurs de fond... ton article me fait penser de suite à la chanson de Pierre Bachelet .<br /> Tu as eu de la chance de pouvoir visiter ... par quel heureux hasard ?
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N
<br /> Tu sauras tout demain.<br /> <br /> <br />