Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.
25 Février 2019
Parmi les plus belles villes d'Anatolie figure en bonne position Amasya, installée sur les bords de Yeşil Irmak - la rivière verte - et surnommée aussi Şehzadeler Şehri, soit la "Ville des princes de sang", les fils de sultans susceptibles de prendre leur succession et qui venaient là en formation.
De magnifiques maisons ottomanes se succèdent le long de l'étroite rive gauche coincée entre le cours d'eau et le promontoire rocheux, offrant une fois la nuit tombée, une image aux couleurs changeantes grâce aux éclairages nocturnes qui mettent le paysage en valeur. C'est sur cette rive que se concentrent restaurants avec vue sur la rivière, tout comme les chambres des pensions et hôtels les plus fréquentés.
On trouve également là deux musées situés dans de superbes demeures traditionnelles ; la demeure Hazeranlar, construite en 1865, permet de découvrir l'intérieur typique de ce genre de maisons avec notamment ses parties distinctes réservées aux hommes - selamlık - et aux femmes, le haremlik. Quant au musée des Şehzade installé depuis 2008 dans une bâtisse du XVIIIème siècle, il présente les fils de sultan sous la forme de statues de cire dans un décor typiquement ottoman.
23 tombeaux de rois de la dynastie Mithridate (333-26 av. J.-C.) ont été creusés dans la roche sur la rive gauche et au-dessus desquels culminent les vestiges de la citadelle dont les origines remontent à l'époque hellénistique. Des cérémonies d'adoration étaient organisées devant les tombeaux à la mémoire de ces rois déifiés. A certains moments de l’histoire, ces tombes sont devenues des prisons et des lieux de torture. Si elles sont aujourd'hui vides de tout occupant, le décor qu’elles forment n'en reste pas moins impressionnant.
Amasya compte un nombre important de mosquées qui valent la peine d'être visitées, à commencer par le complexe de Bayezid II, construit entre 1481 et 1486 par son fils Ahmet, alors gouverneur d'Amasya. Il comprend outre la mosquée, une école coranique transformée en 1922 en bibliothèque, un imaret - l'équivalent de la soupe populaire - devenu un centre culturel qui se visite, permettant de voir les anciennes cuisines et de se familiariser avec l’art ottoman. Un salon abrite aussi une imposante maquette de la ville en 1914. La mosquée elle-même est en cours de restauration depuis 2016 et les travaux sont en voie d’achèvement. Mais rien n’empêche de profiter du beau jardin et d’admirer les vieux arbres, dont un platane datant de l’époque de la construction du complexe, ainsi que les bâtiments annexes et la jolie fontaine aux ablutions au toit pointu.
Burmalı minare cami - la mosquée au minaret déformé - date de 1242. Le célèbre voyageur Evliya Çelebi évoque dans son livre le premier minaret en bois qui n'a malheureusement pas résisté au tremblement de terre de 1590, ni aux deux incendies survenus en 1602 et en 1730. Il a finalement été remplacé par le minaret actuel. Le mausolée Cumudar attenant à la mosquée abritait notamment le tombeau du ministre anatolien Şehzade Cumudar.
Juste en face, le Taşhan, ancien caravansérail érigé en 1699, est devenu un très bel hôtel après une restauration achevée en 2012.
Le complexe de la Gök medrese réalisé en 1267 par Seyfeddin Torumtay, alors préfet d'Amasya, comprend une mosquée, une école coranique et un mausolée construit en 1279 où reposent l'ancien préfet et des membres de sa famille. L'ensemble bénéficie également d'une restauration depuis 2017 bientôt terminée.
En remontant la rive droite vers l'est, la belle mosquée Çilehane, construite en 1413 par l'émir Yakup, était à l'origine un couvent de la communauté soufie des Halveti. On y voit encore la salle de prière ainsi que les cellules des derviches.
A quelques dizaines de mètres de là, en direction de la rivière, se trouve le tombeau de Hamdullah Çelebi Efendi, 23ème sheik de Haci Bektaş Veli - fondateur de la confrérie éponyme Bektachi – et qui repose ici depuis 1847. La communauté bektachi d'Amasya y a fait construire en janvier 2011 sa cem evi – lieu de rencontre et de prière - inaugurée le 29 octobre 2013. Elle se retrouve ici pour les différents cultes, cérémonies et festivités.
Tout près du pont où se trouve la belle tour de l'horloge dont la première construction remonte à 1865, voici l'école coranique Kapı Ağası érigée en 1488 par Hüseyin Ağa, gardien de la porte (Kapı Ağası) du sultan Bayezit II, fonction oh combien importante. Appelée aussi Büyük Ağa, les portes de cette école sont toujours ouvertes aux curieux qui souhaitent la visiter.
De l'autre côté de la rivière, l'architecture ainsi que la décoration de la mosquée Bayezit Paşa, construite en 1414 par l'émir du même nom, ne sont pas dénuées de charme.
Egalement près de là, Darüşşifa - hôpital - qui date de 1308, porte aussi le nom de Sabuncuoğlu Şerefeddin, premier chirurgien turc et qui y a oeuvré durant 40 ans. C'est derrière la magnifique porte seldjoukide de ces lieux qu'étaient soignés les malades mentaux à l'aide de la musique. C'est aujourd'hui un musée dédié à la santé et après sa visite, les traitements et remèdes utilisés dans le temps n'auront plus de secret pour vous, les miniatures et instruments exposés vous permettant de vous donner une idée précise des soins prodigués à l'époque.
Quelques hammams sont également visibles dans ce quartier tels Kumacık hamamı (1495) et Mustafa bey hamamı (1436).
Il ne faut pas quitter Amasya sans avoir visité le musée de la ville. Bien que situé dans un bâtiment à l'aspect extérieur des plus quelconques, il abrite une section archéologique et ethnographique très riche grâce aux nombreuses découvertes faites lors de fouilles entreprises dans la région. Pas moins de douze civilisations y sont présentées à travers différentes oeuvres allant de rythons et cruches hellénistiques à un étendard préfectoral du début du XXème siècle en passant par des sarcophages romains en pierre, d'autres en bois de l'époque seldjoukide ou des documents ottomans.
Le clou de la visite se trouve à l'étage : la salle des momies qui accueille, sous des habits de verre, İşbuğa Nuyin, ministre des Ilkhanides mort en 1320, Cumudar, ministre d'Anatolie sous le règne du sultan Ilkhanide Mahmut Khan et mort en 1297, İzzetin Mehmet Pervane, gouverneur de Sinop puis d'Amasya, sa concubine ainsi que leurs deux filles et deux garçons morts entre 1 et 4 ans. Jusqu'en 1928, ces momies, dans un état de conservation exceptionnel, reposaient dans le mausolée Cumudar avant de transiter un temps dans le musée du complexe de Bayezit II puis, après d'autres déménagements, de trouver enfin leur place définitive réalisée à leur intention.
Amasya, facilement accessible de l'aéroport de Merzifon à 40 km de là, se visite à pied et mérite au moins d'y passer deux jours et une nuit afin d'en profiter au maximum.