Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

550 roms à la rue depuis le 6 janvier 2015 à Istanbul, un Sulukule bis à Ataşehir

Alors qu'une femme kamikaze a provoqué mardi dernier la mort d'un policier à Sultanahmet, que la Turquie a connu une vague de froid sans précédent et que Paris s'apprêtait à vivre des jours noirs, une tragédie humaine concernant 550 personnes roms dont 150 enfants se déroulait dans le quartier de Küçükbakkalköy à Ataşehir, sur la rive asiatique d'Istanbul, sans faire la une des journaux.

 

En effet, mardi 6 janvier 2015, à 5 heures du matin, les bulldozers de la mairie d'Ataşehir ont commencé à détruire les 65 habitations louées depuis 8 ans par des familles roms sédentaires de nationalité turque. Les loyers ont été payés durant les sept premières années mais durant la dernière année, les familles ne les ont plus réglés.

550 roms vivaient ici à Ataşehir jusqu'au 6 janvier 2015

550 roms vivaient ici à Ataşehir jusqu'au 6 janvier 2015

Avant d'habiter là, tous ces roms occupaient des maisons de fortune dans un autre quartier d'Ataşehir qu'ils ont dû quitter, leurs habitations ayant été démolies suite au projet de renouveau urbain dans cette zone...

 

 

Il était une fois les maisons des roms d'Ataşehir...

Il était une fois les maisons des roms d'Ataşehir...

Ces familles savaient depuis environ un an que leurs jours sur place étaient comptés et qu'ils allaient subir le même sort que leurs cousins de Sulukule, ce quartier gitan millénaire d'Istanbul situé dans la péninsule historique et devenu tristement célèbre entre 2007 et 2009.

550 roms à la rue depuis le 6 janvier 2015 à Istanbul, un Sulukule bis à Ataşehir

Finalement, ce sont dans des conditions dramatiques et totalement inhumaines que s'est effectuée l'«opération de nettoyage ».

 

A la base, le problème relève de la juridiction privée. Les habitations en question ont été construites par des propriétaires privés. Il y a un an, une société monte un projet de construction résidentielle sur le périmètre de ces terrains loués et habités par les roms.

Ataşehir à Istanbul, un quartier qui va devenir aussi tristement célèbre que celui de Sulukule

Ataşehir à Istanbul, un quartier qui va devenir aussi tristement célèbre que celui de Sulukule

Si décision de justice d'expropriation il y a, aucun document officiel l'attestant n'a été présenté ni remis aux concernés. La législation prévoit que l’exécution de la décision du tribunal par le biais de l’office chargé de mission doit adresser une lettre officielle aux familles en leur donnant un délai légal de 30 jours maximum pour qu’ils évacuent les lieux.

 

L'étape suivante consiste pour l’office d’exécution à donner l’ordre de l’expulsion forcée des familles et de la démolition des habitations. La zabita, équivalent de police municipale, est bien venue le 15 décembre 2014 informer les 65 familles que leurs maisons seraient démolies le 5 janvier 2015 - soit 20 jours après - et que d'ici là, elles devaient quitter les lieux et donc se reloger.

Les bulldozers ont rasé les maisons de 550 roms d'Ataşehir à Istanbul le 6 janvier 2015

Les bulldozers ont rasé les maisons de 550 roms d'Ataşehir à Istanbul le 6 janvier 2015

Louer un appartement lorsqu'on est rom est quasiment chose impossible, d'où la demande faite en son temps par l'Association de Protection des Roms pour la Rive Asiatique d'Istanbul présidée par Nebahat Bilgiç afin que l'administration les reloge dans des logements sociaux, mais sans résultat.

Nebahat Bilgiç, Présidente de l'Association de Protection des Roms de la Rive Asiatique d'Istanbul, crédit photo Hervé Porcher

Nebahat Bilgiç, Présidente de l'Association de Protection des Roms de la Rive Asiatique d'Istanbul, crédit photo Hervé Porcher

Les roms d'Ataşehir ne contestent pas la décision de démolition en soi, mais à juste titre la façon dont se sont déroulés les faits, durant les jours les plus froids de l'hiver et sans aucune aide de quiconque. Ils sont restés sur place dans la neige avec des températures nocturnes inférieures à 0 durant 3 nuits et 4 jours.

 

Ataşehir à Istanbul, sur le terrain habité jusqu'à début janvier 2015 par 550 roms

Ataşehir à Istanbul, sur le terrain habité jusqu'à début janvier 2015 par 550 roms

Jeudi 8 janvier, la Sous-Préfecture d'Ataşehir décide de les héberger dans une salle de sports mais ne trouvant pas pour eux de matelas ni de couvertures, cette décision d'hébergement provisoire est annulée... et ces hommes, femmes, vieillards et enfants ont passé finalement une troisième nuit sur les décombres de leurs maisons.

 

Finalement, vendredi 9 janvier, grâce à la persévérance et à l'obstination de Nebahat Bilgiç, la Sous-Préfecture a remis à chacune des 65 familles une somme de 2000 TL (env.  750 Euros) en guise d'aide au relogement et leur a promis une indemnité mensuelle de 500 TL (env. 185 Euros) durant un an. Néanmoins, l'administration a refusé de fournir la convention écrite demandée par Nebahat qui s'en tient pour le moment à une promesse orale.

Nebahat Bilgiç, une rom qui se bat pour les droits des siens à Ataşehir, Istanbul

Nebahat Bilgiç, une rom qui se bat pour les droits des siens à Ataşehir, Istanbul

A ce jour, 15 familles ont absolument tout perdu, n'ayant rien pu sauver de leurs maigres biens restés sous les décombres. Les enfants n'ont plus de cartable, les gens plus de vêtements, ni de meubles, ni quoi que ce soit pour vivre.... Les autres 40 familles ont également perdu une grande partie de leurs biens.

Un jeune rom enveloppé dans une couverture à gauche, un chien, scène de désolation à Ataşehir, Istanbul

Un jeune rom enveloppé dans une couverture à gauche, un chien, scène de désolation à Ataşehir, Istanbul

Les droits de l'homme ont ici été bafoués de façon intolérable. Les 30 jours maximum de délai pour quitter les lieux n'ont pas été octroyés, 20 jours seulement. Les relogements ou les aides auraient dû être mis en place avant la date butoir.

 

10 % des familles ont pu se reloger vendredi tant bien que mal dans l'arrondissement grâce à l'aide de connaissances qui ont pu leur trouver des logements libres.

Un jouet ayant appartenu à un des enfants roms d'Ataşehir à Istanbul

Un jouet ayant appartenu à un des enfants roms d'Ataşehir à Istanbul

A la recherche de quelques biens à sauver à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

A la recherche de quelques biens à sauver à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Les autres ont trouvé refuge pour l'instant auprès de proches et au lieu de vivre à 10 sous le même toit, c'est à 20 qu'ils se retrouvent pour une durée qui, il faut l'espérer, va être la plus courte possible...

 

Il n'existe pas en Turquie de trêve hivernale comme c'est le cas en France par exemple où les expulsions sont interdites par la loi entre le 15 novembre et le 15 mars. Par contre, ici aucun habitant n'est sensé, aux yeux de l'administration turque, vivre dehors en hiver.

Ataşehir, un quartier d'Istanbul, habité par de nombreux roms

Ataşehir, un quartier d'Istanbul, habité par de nombreux roms

Des numéros de téléphone spéciaux, dont celui valable pour Istanbul, sont à la disposition des citoyens afin de signaler les cas des sdf alors pris en charge et ramenés dans des salles de sports aménagées pour l'occasion. L'antenne d'Istanbul contactée par nos soins a dit ne pouvoir intervenir que pour des cas isolés et nous a renvoyé sur le 155, autrement dit « Police Secours »...

 

Les propriétaires des lieux, les constructeurs des futurs immeubles et les administrations tant municipales que préfectorales impliquées dans cette sordide affaire ont oublié qu'ils ont affaire à des êtres vivants, différents par leur culture certes, mais avant tous des Humains qui méritent un minimum de respect et de considération.

Deux femmes roms d'Ataşehir à Istanbul qui n'ont plus rien pour vivre

Deux femmes roms d'Ataşehir à Istanbul qui n'ont plus rien pour vivre

On aurait pu et dû ajourner cette opération de quelques jours, prendre les dispositions nécessaires pour que ces familles ne se retrouvent pas dans une situation contraire aux principes mêmes du respect du droit humain.

Nebahat Bilgiç, Présidente de l'Association de Protection des Roms de la Rive Asiatique sur les lieux de la tragédie à Ataşehir

Nebahat Bilgiç, Présidente de l'Association de Protection des Roms de la Rive Asiatique sur les lieux de la tragédie à Ataşehir

En cas de tremblement de terre ou lors de l'afflux massif de milliers de réfugiés syriens et irakiens, la Turquie a toujours su s'organiser dans des délais records et faire face à travers des organismes tels que Kızılay, IHH, les services sociaux, les cellules de crise. Mais dans le cas des roms d'Ataşehir, où sont passés tous ceux qui sont chargés d'aider les plus démunis sans distinction d'origine et de races ou de cultures ?

 

La Turquie qui accueille plus d'1,6 million de réfugiés est considérée comme "une puissance de l'assistance humanitaire" par Antonio Guterres, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), mais ce dernier serait sans aucun doute surpris, voire choqué, d'apprendre ce qui se passe au cœur même d'Istanbul...

Ataşehir à Istanbul, sur les décombres des maisons habitées par les roms depuis 8 ans

Ataşehir à Istanbul, sur les décombres des maisons habitées par les roms depuis 8 ans

La pétition ci-dessous, destinée au Gouverneur d'Istanbul, a été lancée il y a 4 jours pour que ces familles ne restent pas à la rue :

 

https://secure.avaaz.org/fr/petition/SAYIN_VASIP_SAHIN_ISTANBUL_VALISI_M_VASIP_SAHIN_GOUVERNOR_OF_ISTANBUL_Atasehir_550_romlar_sokakta_kalmazsin_550_Rom_of_A/?dkaGPab&pv=0

Les restes d'une maison rom à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Les restes d'une maison rom à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Deux besoins sont plus qu'urgents pour ces familles :

 

  • recourir à la générosite publique turque et européenne tant pour le relogement que pour pouvoir disposer de biens de première nécessité (nourriture, vêtements, lits, affaires scolaires pour les enfants, meubles, électro-ménager)

  • trouver un avocat sensible aux droits de l'homme qui veuille bien les représenter et les défendre afin que le droit national et international soient respectés.

Un canapé tourné vers le terrain où habitaient les roms à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Un canapé tourné vers le terrain où habitaient les roms à Ataşehir, Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Une adresse mail spéciale romanatasehir@gmail.com (contacts en français et en turc) ainsi qu'une page FB « Aide aux Roms d'Ataşehir – Ataşehir Romanlar'a yardım kampanyası » https://www.facebook.com/pages/Aide-aux-Roms-dAta%C5%9Fehir-Ata%C5%9Fehir-Romanlara-yard%C4%B1m-kampanyas%C4%B1/344938572360761 viennent d'être mises en place pour ceux et celles qui peuvent apporter leur aide sous toutes les formes possibles (matérielle, financière,...). L'association précitée va ouvrir aujourd'hui un compte bancaire spécifique pour les aides pécuniaires.

Un tapis, quelques vêtements ayant appartenu à des roms d'Ataşehir à Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Un tapis, quelques vêtements ayant appartenu à des roms d'Ataşehir à Istanbul - crédit photo Hervé Porcher

Un foulard ayant appartenu à une rom d'Ataşehir à Istanbul, crédit photo Hervé Porcher

Un foulard ayant appartenu à une rom d'Ataşehir à Istanbul, crédit photo Hervé Porcher

Cliquez ici pour lire la version turque de cet article.

 

Pour en savoir plus sur l'affaire de Sulukule, cliquez ici : http://www.dubretzelausimit.com/article-30222402.html

 

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S
Ainsi va la vie, l'un se fait construire un palais et les autres sont jetés à la rue !
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N
J'en connais beaucoup ici, notamment ceux de Sulukule. Ils sont aussi propres que vous et moi, j'ai eu l'occasion d'aller chez certains d'entre eux... Ils ont leur culture, leur façon de vivre qui diffère parfois de la nôtre et vous savez aussi bien que moi sans doute que dès qu'on sort du cadre, qu'on est différent, ça dérange... Je le sais bien ayant toujours été "hors cadre" dans ma première vie en France...
N
Les roms en France souffrent autant qu'en Turquie, c'est triste mais, ils n'ont aucun respect de l’environnement qu'ils occupent, c'est la saleté partout et les odeurs, ils sont ingérables. malgré les aides financières que l'état leur donne, ils mendient partout. Je ne veux surtout pas les jugés et je ne retrace que la réalité, vous savez il y a beaucoup à dire ...