Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.
28 Juin 2011
C'est durant son règne, peu après 1453, que le sultan Fatih Mehmet introduit à Istanbul les tournois de lutte turque à l'huile, yağlı güreş en turc, soit près d'un siècle après la première compétition qui a eu lieu à Kırkpınar près d'Edirne, en Thrace.
Cette localité, haut-lieu de ce sport, accueille tous les ans, au début de l'été, une compétition qui attire des dizaines de milliers de spectateurs.
Tournoi de lutte à l'huile à Kağıthane, Istanbul
C'est dans l'arrondissement de Kağıthane, sur les anciens lieux de plaisance de Sadabad, qu'ont lieu ces combats traditionnels pratiqués à mains nues, héritage des jeux grecs de l'Antiquité.
Lutteurs de Kağıthane
Les rencontres se sont poursuivies continuellement durant l'Empire ottoman mais depuis la création de la République de Turquie, elles l'ont été de façon épisodique.
En 1993, la mairie de Kağıthane décide de relancer ces festivités de façon régulière en organisant des rencontres annuelles dont l'édition 2011 s'est déroulée dimanche passé.
Ces épreuves sont les dernières avant la rencontre de Kırkpınar qui a lieu tous les ans début juillet et constituent la seconde plus importante organisation en la matière dans le pays.
De nombreux clubs de lutte existent en Turquie, notamment en Thrace mais également en Mer Noire, réunis au sein d'une Fédération Nationale.
C'est ainsi que dès 10 h du matin, plus de 200 sportifs venus d'Edirne, de Samsun, d'Amasya, de Kastamonu mais aussi d'Antalya, se sont affrontés sur la pelouse grasse, dans tous les sens du terme.
Le programme de ces rencontres a débuté , comme il est de coutume, par une prière.
Les lutteurs, vêtus uniquement d'une culotte en cuir de vache, sont couverts d'une épaisse couche d'huile d'olive.
200 litres d'huile d'olive ont été consommés hier
Neuf catégories permettent de classifier les participants âgés de 7 à 40 ans. Les meilleurs portent le titre de pehlivan, nom d'origine perse donné aux lutteurs et qui signifie "héros" et de başpehlivan, titre suprême.
Quelques mini-lutteurs de Kağıthane
Les 16 başpehlivan de Kağıthane de l'édition 2011
Après avoir enduit leur corps d'huile et lié leur culotte à l'aide de cordes, les rois du jour viennent saluer les visiteurs avec maints gestes bien précis, symbolisant la force et le courage.
Les lutteurs vont effleurer la pelouse de leur main droite...
... avant de saluer le public
Certains effectuent des sauts devant leur public
Ils plongent ensuite la main dans une coupe transparente pour tirer au sort le nom de leur adversaire.
Ils se livrent par la suite à un corps à corps impressionnant. L'objectif est de renverser son concurrent en le faisant tomber dos contre le sol.
La qualité des lutteurs est aisément perceptible par un spectateur néophyte. Les jeunes sportifs présentent un physique mince, voire parfois frêle, et font preuve de fair-play, mais plus on grimpe les échelons et plus le physique change.
Les muscles deviennent saillants et ce sont des athlètes à la carrure colossale, parfois architecturale, qui envahissent la scène et certains de ces monstres sacrés, pesant une centaine de kilos en moyenne, adoptent des attitudes dignes de grands acteurs. La température monte dans les gradins... et sur la pelouse.
Lutteurs à l'huile turcs à Kağıthane, Istanbul
La qualification peut se faire soit au tomber, soit au nombre de points marqués, au maximum 3. La durée du combat dépend de la résistance des adversaires mais il n'y a pas de temps imposé à la lutte.
La lutte à l'huile est un spectacle de toute beauté, au tempo très changeant. Les concurrents se retrouvent parfois de longs moments enlacés, soit debout, à genoux ou carrément allongés. Si l'un trouve un point d'appui pour faire virevolter l'autre, le rythme s'accélère aussitôt et les corps s'envolent littéralement.
Parfois, une crampe ou un nez blessé nécessite l'intervention des services adéquats
Les musiciens présents sur place, sont chargés, à travers les morceaux interprétés, d'insuffler un air particulier aux lutteurs, de leur donner de la force à travers la musique.
Tous les participants reçoivent un chapelet comportant une plaquette commémorative de la rencontre. Les vainqueurs des différentes catégories se sont vu remettre une médaille et le grand vainqueur une coupe.
Chapelet commémoratif
Un jeune médaillé
Ce dernier, en l'occurrence, Şaban Yılmaz de Samsun, a également gagné la somme de 6000 TL (soit environ 2600 €). Le second, Şükrü Kazan, a remporté 5000 TL (soit près de 2170 €) et les 3ème ex-aequo, Recep Kara d'Ordu et Osman Aynur d'Antalya, ont chacun empoché 1000 TL (près de 435 €).
Les quatre finalistes
Şaban Yılmaz, le grand vainqueur de la compétition 2011 de Kağıthane
Les organisateurs de Kağıthane ont pour objectif de faire venir à Istanbul, lors des prochaines éditions, des lutteurs de Grèce.
Ceux-ci ont la particularité d'ajouter de la poudre sur la couche d'huile dont ils sont enduits.
Il peut aussi être imaginé que le tournoi de lutte de Kağıthane soit inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité de l'Unesco, tel que cela a été le cas pour Kırkpınar le 16 novembre 2010.
Cliquez ici pour parcourir la galerie photos d'une sélection parmi les 2000 clichés réalisés avec la participation de Jean-Marc Arakelian.
En outre, deux vidéos sont visibles en cliquant ici et là.