Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.
28 Octobre 2009
Le film-documentaire "İki dil bir bavul" - dont le titre en français se traduit par "Deux langues une valise", a obtenu le 17 octobre dernier le Prix du Meilleur Premier Film, le Grand Prix de la Critique ainsi que le Grand Prix du Jury Yilmaz Güney au 46ème Festival de l'Orange d'Or à Adana, un des festivals de cinéma les plus importants en Turquie.
Le fim étant sur les écrans depuis la semaine dernière, j'ai souhaité plonger durant 1 h 20 dans l'univers scolaire d'une école primaire turque d'un village reculé de la province d'Urfa, dans cette Anatolie du Sud-Est que je connais de mieux en mieux tous les ans.
A l'affiche notamment dans deux cinémas de Beyoğlu
Emre Aydın, originaire de Denizli dans l'Ouest de la Turquie, arrive là pour sa première année d'enseignement après avoir réussi son cursus universitaire.
La première séquence du film montre son arrivée en dolmuş, sa valise citadine tranchant avec les sacs envahissant le véhicule, dans ce village au milieu de nulle part, perdu dans une région où il n'a jamais mis les pieds jusqu'alors.
Les premiers jours sont difficiles, il faut s'approvisionner en eau à la fontaine, trouver ses repères. Emre fait le tour des familles pour que tous les enfants viennent à l'école.
Le désenchantement commence dès la rentrée. La langue maternelle de tous ces élèves n'est pas le turc, mais le kurde. Une bonne partie de ces jeunes ne comprend pas un traître mot de ce que leur dit le professeur, même pas lorsqu'il leur demande leur nom... S'engage alors un dialogue de sourds.
Certains viennent sans cahier ni crayon, n'en ont d'ailleurs jamais tenu un de leur vie.
Enseigner dans de telles conditions, lorsqu'aucun ne comprend ce que l'autre dit... Apprendre, lire, écrire, pouvoir donner un nom à des images qui représentent des scènes où les personnages et l'environnement sont en général connu de tous les enfants, est on ne peut plus difficile.
Emre organise une réunion avec les parents, durant laquelle ceux qui maîtrisent le turc vont traduire aux autres.
Comment ne pas être découragé dans de telles circonstances, lorsqu'on se sent vraiment seul. Une année scolaire entière ne suffit pas à certains pour acquérir les bases nécessaires à la poursuite des études dans de bonnes conditions.
Devant l'école primaire Atatürk de Nüsaybın, sud-est de la Turquie
Il y a bien la petite Rojda, appliquée, travailleuse, qui fait des efforts pour s'en sortir, aidant son frère pour les devoirs, mais le petit Zülküf, lorsque les vacances d'été arrivent, ne comprend toujours rien à ce que l'instituteur lui dit en lui remettant son bulletin.
Il me semble vraiment intéressant de voir ce film très parlant de la difficulté rencontrée au quotidien, tant pour l'enseignant que pour les enfants...
Dans une classe de l'école primaire Atatürk d'Hasankeyf, sud-est de la Turquie
Cette réalité, je l'ai évoquée à plusieurs reprises avec des enseignants rencontrés lors de mes voyages, dans le sud-est du pays notamment.
Je me souviens plus particulièrement de cette jeune femme assise à côté de moi, en mai dernier, dans le bus qui nous emmenait d'Urfa à Mardin. Comme Emre, elle effectuait sa première année d'enseignement dans un village reculé de la province de Mardin où elle s'est retrouvée confrontée à cette situation difficile. C'est à celle qui j'ai pensé en écrivant cet article...