Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.
24 Septembre 2011
Dans le quartier de Hasköy situé sur la rive Est de la Corne d'Or à Istanbul, connu comme étant jadis un des quartiers juifs les plus importants de la ville - 25 000 juifs et une vingtaine de synagogues à la fin du XIXème siècle - se trouve la très belle église Aya Paraskevi.
Dans l'église Aya Paraskevi de Hasköy à Istanbul
En ce jour du mois d'août, mon regard est attiré par un ancien mur situé quelque peu en hauteur et visible de la route principale. Cherchant à en savoir plus, j'interroge un proche commerçant qui m'indique alors la porte d'une église toute proche en contrebas du mur où je pourrais peut-être avoir des réponses à mes questions...
L'ancien mur en hauteur par lequel cette découverte imprévue a commencé... et la porte qui mène à l'église
Ignorant l'existence de ce lieu de culte chrétien à Hasköy - le seul encore existant en tant que tel de nos jours dans ce coin d'Istanbul - je ne pouvais que m'empresser de sonner à la grande porte d'entrée derrière laquelle se profile un beau clocher.
Le clocher d'Aya Paraskevi kilisesi à Hasköy, Istanbul
Derrière les murs d'enceinte, on découvre là une histoire très ancienne et riche. En effet, cette église grecque orthodoxe a été construite en 1692 sur l'emplacement de trois anciens lieux de culte en pierre dont aucun n'a résisté aux tremblements de terre.
Le premier remonte au VIème siècle sous Justinien. En fait, durant la période byzantine, ce quartier était fréquenté à la belle saison par la bourgeoisie qui y possédait ses résidences d'été.
L'autel se trouvant derrière l'iconostase est le seul vestige restant de la toute première église construite sous Justinien
C'est Saint-Constantin II Brâncoveanu, prince de l'ancienne principauté de Valachie et actuelle région de Roumanie, qui fait bâtir l'église visible de nos jours pour l'offrir à la communauté grecque de Constantinople.
Dans la cour de l'église Aya Paraskevi de Hasköy
Les façades de l'édifice actuel sont en pierre, comme les précédents, par contre le toit et les supports sont en bois. La partie avant par laquelle il faut passer pour accéder à l'intérieur de l'église a été ajoutée en 1830.
La partie ajoutée en 1830
En 2004, la communauté orthodoxe roumaine de Turquie - pour laquelle un prêtre, installé à Taksim est nommé en 2001 - signe une convention avec le patriarcat oecuménique de Fener, responsable des lieux, pour les utiliser durant cinq ans, concession renouvelée depuis pour une période identique.
Durant une célébration de la communauté roumaine orthodoxe de Turquie
Vers 1540, un historien allemand du nom de Gerlach visite cette église et fait état de quatre icônes, à savoir celles de Sainte-Paraskevi et de la Vierge à gauche, celles du Christ et de Saint-Jean-Baptiste sur le côté droit de l'iconostase actuelle, icônes mentionnées comme étant miraculeuses.
L'icône de Sainte-Paraskevi, patronne de l'église fêtée tous les 26 juillet
Celle du Christ est endommagée en 1912 par un turc qui lance à 4 reprises sa lance sur l'icône et se retrouve immédiatement paralysé.
Il prie Dieu pour retrouver la santé et s'engage à se convertir au christianisme si son voeu est exaucé... et c'est ce qu'il fera, ayant été écouté. C'est dans cette même église qu'il sera baptisé.
L'icône du Christ sur laquelle les quatre marques de lance sont parfaitement visibles
A droite de l'iconostase se trouve le tombeau abritant une partie des reliques de Sainte-Arghira, seconde patronne de l'église, née en 1688 et martyrisée en 1725.
Le tombeau abritant une partie des reliques d'Aya Aghira
Ses reliques ont été découvertes en 1735 dans l'ancien cimetière situé au fond du jardin. Elles reposent dans un tombeau à l'abri d'un petit monument où ont lieu des miracles durant une dizaine d'années...
Au fond du jardin dans lequel se trouvait l'ancien cimetière, le monument abritant l'ancienne tombe d'Aya Aghira
En 1955, durant le confit qui oppose la communauté turque à celle de Grèce, des pillards ouvrent la sépulture et sortent les reliques pour les brûler. Elles sont sauvées in extremis par l'administrateur de l'église.
La sépulture d'Aya Aghira jusqu'en 1955
En 1961, une partie des reliques sont transférées dans le tombeau nouvellement installé dans l'église et une autre dans la cathédrale Saint-Georges du Patriarcat de Fener. Tous les ans, le 30 avril, celles-ci reviennent à Hasköy le temps d'une cérémonie commémorative.
Dans l'ancien cimetière de l'église étaient également enterrés six patriarches grecs de Jérusalem ainsi que des notables chrétiens (grecs, arméniens, roumains, serbes...).
Leurs reliques ont depuis été déplacées dans d'autres cimetières de la ville et il ne reste plus aujourd'hui que les pierres tombales ornant le jardin.
Pierre tombale de l'évêque grec Calinic installé un temps en Roumanie et visible dans la partie ajoutée de l'église
Deux restaurations récentes ont permis à l'église Aya Paraskevi de retrouver sa splendeur passée. La première, en 1990, a été financée par Çarkos, un armateur grec.
La très belle iconostase de l'église Aya Paraskevi à Hasköy
D'autres travaux ont lieu en 2004, grâce à la participation de Mircea Lucescu, célèbre entraîneur de football roumain ayant notamment entraîné les clubs turcs de Galatasaray et Beşiktaş.
Détail de l'iconostase de l'église Aya Paraskevi à Hasköy
Ce dernier a également offert deux icônes toujours visibles sur place. La première représente Saint-Constantin II Brâncoveanu - donateur de cette église - avec ses quatre fils. Parlant turc mais refusant de se convertir à l'islam, il subira le 15 août 1714 le même sort que ses enfants, tous décapités sur ordre du sultan Ahmet III.
Saint-Constantin II Brâncoveanu et ses quatre fils
Saint-Stéphane le Grand, roi de Moldavie, illustre la seconde icône.
Saint-Stéphane le Grand, roi de Moldavie
Le Père Sergiu Vlad, actuellement en charge de la paroisse, accueille une quarantaine de fidèles pour la liturgie dominicale et jusqu'à 700 lors de certaines célébrations importantes telle Pâques. Certains paroissiens font parfois plusieurs centaines de kilomètres pour assister au culte...
Le père Sergiu durant une liturgie dominicale
Avant 2004, seules avaient lieu une célébration mensuelle ainsi que celle du 26 juillet en l'honneur de Sainte-Paraskevi, patronne de l'église.
La communauté roumaine d'Istanbul est particulièrement active et des manifestations sont organisées régulièrement, tels les récents concerts donnés par le choeur Bisericci Stfântul Nicolae tant durant la messe qu'après.
Le choeur roumain Bisericci Stfântul Nicolae le 4 septembre dernier
Je vous propose d'ailleurs d'écouter ici un extrait de leur prestation du 4 septembre dernier.
En conclusion, grâce à ces pans de murs visibles un peu plus haut - et qui sont finalement ceux d'une ancienne école grecque ayant brûlé en 1912 - c'est une bien belle découverte parmi les innombrables richesses méconnues d'Istanbul qu'il m'a été permis de faire ce jour-là.
Une église orthodoxe parmi bien d'autres à Istanbul, celle d'Aya Paraskevi
Un grand merci au Père Sergiu pour le temps qu'il a bien voulu me consacrer ainsi que les différentes informations fournies dans le cadre de la préparation de cet article.