Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 20 ans.

Du bretzel au simit

Le photojournaliste alsacien Franck Vogel expose sur les Fleuves Frontières à NDS Istanbul

Rencontre avec Franck Vogel d'origine alsacienne, devenu photojournaliste par une voie détournée et qui expose actuellement une belle sélection de ses photos sur les fleuves frontières dans la galerie du lycée Notre-Dame de Sion Istanbul.

 

DBAS : Vous êtes né à Strasbourg. Combien de temps êtes-vous resté en Alsace et quel est votre parcours ?

Franck Vogel : J’y ai passé mes 20 premières années. J'ai fait un DEUG de biophysicochimie après une licence de chimie à l'Université Louis Pasteur. Après, j'ai préparé un double diplôme à Strasbourg et dans une université américaine. Il y avait un concours et j'étais dans les 3 premiers ; j'ai obtenu une bourse et j'ai fait une maîtrise en biochimie à côté de New York. J'aurais du continuer à faire un doctorat là-bas mais finalement, je suis rentré. J'ai été admis sur titre à AgroParisTech directement en 2ème année et j'ai étudié deux ans là-bas. AgroParis, c'est généraliste ; j'ai donc fait en dernière année une spécialisation en économie – gestion d'entreprise car je pensais avoir besoin de leçons de business. Puis, je me suis retrouvé consultant et je n'ai pas du tout aimé cela.

Ensuite, je suis parti effectuer un voyage en stop pendant un an, durant toute l'année 2002, en Afrique et en Asie. Pendant cette période, j'ai réfléchi à ce que je voulais devenir. J'ai fait de la méditation dans l'Himalaya indien et en Birmanie et c'est là que j'ai compris que ce que je voulais faire, c’est voyager, rencontrer l'Autre et faire des photos parce que c'est quelque chose qui me plaisait. J'ai tout de même pris 8000 diapos durant ce voyage. Je n'étais pas photographe mais j'avais envie de faire de la photo. Et une petite voix me disait aussi « et aussi, si possible, inspirer les gens avec la photo ou faire changer les choses. » Je n'y croyais pas, mais c'était une petite voix qui me disait cela. Si j'y arrivais c’était bien, sinon...

Vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul

Vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul

Au final, avec les conférences, les expositions, les publications, on arrive tout de même à diffuser des messages. On ne va pas changer forcément radicalement les gens mais un peu quand même. On met des petites graines, parfois ça pousse, parfois pas. Au moins, il y a un message qui passe quand même. Et je sais qu'il y a des personnes qui ont changé sur les Bishnoïs par exemple.J'avais une très grosse expo à Paris dans le métro, station Luxembourg, durant 11 mois. Il y a eu plus de 15 millions de visiteurs, c'était énorme et à la station Montparnasse, une exposition qui a duré 2 mois et qui faisait 135 m de long sur 6 m de haut.

Des gens qui m'ont envoyé des messages et certains disaient : je ne connaissais pas les Bishnoïs mais je vous promets, Monsieur Vogel, je vais planter un arbre. Ce n'est pas grand chose, mais tout de même...

En fait, je me vois un peu comme un passeur. L'objectif de ce voyage en stop, c'était que je trouve ma voie et ma voie, c'était ça. Au début, dur parce que je ne connaissais personne, je n'avais aucun contact, rien. Finalement, au bout de 5 ans, ça a payé.

Vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul, de gauche à droite Franck Vogel, Aylin Koçunyan traductrice, Suzan Sevgi, directrice-adjointe de NDS, Yann de Lansalut, proviseur de NDS et Ferit Düzyol, commissaire de l'exposition

Vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul, de gauche à droite Franck Vogel, Aylin Koçunyan traductrice, Suzan Sevgi, directrice-adjointe de NDS, Yann de Lansalut, proviseur de NDS et Ferit Düzyol, commissaire de l'exposition

DBAS : C'est effectivement un changement radical par rapport à votre formation. Quand vous avez fait votre tour du monde, vous êtes passé par la Turquie ?

Franck Vogel : Non, c'est la première fois que je viens à Istanbul et en Turquie...

 

DBAS : Depuis 2007, vous vous intéressez aussi aux relations entre les hommes et la nature. Vous avez fait notamment des travaux sur des peuplades méconnues.

Franck Vogel : Les Bishnoïs, c'est le plus gros, les autres sont plus petits.

Franck Vogel, photojournaliste, Istanbul septembre 2018

Franck Vogel, photojournaliste, Istanbul septembre 2018

DBAS : Et puis, il y a aussi vos travaux sur les fleuves frontières, l'enjeu de l'eau qui est tout de même d'actualité sur pas mal de continents. L'exposition que vous présentez actuellement au lycée français Notre-Dame de Sion concerne 6 fleuves dont certains sont très connus du grand public, tel le Nil, le Gange et dont on a pas mal entendu parler.

La question qu'on peut se poser, pourquoi n'y a-t-il pas le Tigre et l'Euphrate dans votre présentation ?

Franck Vogel : La réponse est simple. Ils étaient prévus et inclus dans la série des fleuves concernés par des enjeux mais la guerre en Syrie a éclaté. J'ai de suite annulé, ce n'était plus possible. Je ne suis pas photographe de guerre, mélanger les deux, c'était inconcevable. Je n'ai aucune envie de mourir, c'est tout bête. Cela sortait complètement du contexte au final. J'ai donc décidé de ne pas les faire, peut-être plus tard mais pour l'instant, la situation n'est pas du tout réglée. En tout cas, c'était prévu à la base.

Interview télévisée de Franck Vogel avec Ferit Düzyol, commissaire de l'exposition "Fleuvres frontières" à NDS Istanbul

Interview télévisée de Franck Vogel avec Ferit Düzyol, commissaire de l'exposition "Fleuvres frontières" à NDS Istanbul

DBAS : En regardant un peu l'historique sur votre site, si j'ai bien compris, visiblement un fleuve équivaut à un an de travail.

Franck Vogel : A peu près. En 2015, j'en ai fait 2, le Colorado et le Jourdain pour sortir le premier tome et avoir les 4 premiers fleuves. Pour l'instant, on n'a pas encore de date pour le second livre. A la base, cela devait être un 2ème tome et, là, comme l'Unesco est rentrée dans la boucle – ils sont co-éditeurs pour le moment – il y aura une édition mondiale en anglais, en français, en allemand. L'Unesco voudrait un livre et pas deux au final, un seul tome qui regroupera les 8 fleuves. Cela prendra peut-être un an de plus.

Il me reste juste à finir le Danube. Je viens de terminer le Zambèze il n'y a pas longtemps. Après, il faut bien finaliser le tout avec les maisons d'éditions. Il y aura un peu moins de pages par fleuve car là on est à 60 pages/fleuve dans le premier tome, sinon il ferait 4 kg.

Il y aura donc 30 à 35 pages/fleuve, un peu condensé, un peu moins de photos forcément mais le message sera là. D'après eux, c'est plus intéressant d'avoir les 8 fleuves ensemble. On est donc plus partis sur cela maintenant et c'est très bien ainsi.

 

DBAS : Petit retour en Alsace, le Rhin n'a jamais été à l'ordre du jour ?

Franck Vogel : Non, le Rhin n'a pas vraiment de problème éthique. Le Danube, lui, est limite. On l'a mis dedans parce qu'il y a des petits problèmes, mais pas aussi graves que sur d'autres. C'était aussi intéressant de mettre un fleuve européen et au final, j'ai tout de même trouvé en grattant des choses que j'ignorais au départ.

Visite de l'exposition "Fleuvres frontières" de Franck Vogel par Virginie Villechange, attachée de coopération pour le français au Consulat français d'Istanbul,

Visite de l'exposition "Fleuvres frontières" de Franck Vogel par Virginie Villechange, attachée de coopération pour le français au Consulat français d'Istanbul,

DBAS : Vous avez eu bon nombre de récompenses et de Prix pour vos travaux. Ce sont ceux sur les Bishnoïs qui vous ont lancé ?

Franck Vogel : En fait, avant les Bishnoïs, je n'étais pas connu du tout et c'est ce sujet qui m'a permis de vivre de la photo. Au début, quand je suis rentré de mon voyage en 2003, j'étais au RMI. J'ai essayé de faire de la photo, je suis allé voir des rédactions, de vendre mes photos de voyage, mais personne n'en voulait. C'était très compliqué. Au niveau psychologique, ce n'est pas évident, il fallait tenir. Il n'y avait pas d'argent qui rentrait, c'était horrible.

Après, j'ai monté une boîte de luminaires photos, des lampes rétro-éclairées ; j'avais monté un concept. Au début, cela ne marchait pas très bien non plus car les gens ne comprenaient pas à quoi ça sert. Et finalement, c'est une marque de luxe, Moët & Chandon, qui la première a eu confiance et a dit « c'est super, ce truc ». Après, il y a eu de grandes marques, un à deux contrats par an. Je travaillais 3-4 mois par an et ça suffisait pour vivre. Après, j'ai essayé de travailler pour financer mon sujet sur les Bishnoïs et aller 3 x 2 mois en Inde. J’ai tout payé sans être sûr de rien en fait. Et quelques autres trucs aussi que j'ai auto-financés en espérant que cela finisse par payer...

Finalement, les Bishnoïs ça a marché. Quand je l'ai présenté à Perpignan, à « Visa pour l'image », je n'avais pas d'exposition, rien. J'étais là avec mon ordinateur et j'essayais d'accrocher les gens pour leur montrer mon sujet. J'avais préparé un petit discours avec 40 photos en français et en anglais pour le dire en 2 mn, une seconde version pour le dire en 5 mn et une autre de 10-15 mn pour entrer vraiment dans les détails, en allant plus ou moins vite.

Parler 2 mn, parfois à 2 h du mat dans un bar... mais je tablais tout là-dessus. Je me disais que j'avais 5 jours pour essayer de le montrer à plus de gens possible et il fallait que j'y arrive... Et ça a marché car personne ne connaissait le sujet, c'était un scoop et tout le monde le voulait. Le Président Sarkozy avait alors lancé les Grenelles de l'Environnement, on était en plein dedans.

A l'époque, Géo allait arrêter tout ce qui était ethnographique, je ne le savais pas. J'ai vu le rédacteur en chef qui m’a dit que mon sujet était génial. Il m'a dit « Si tu étais venu 6 mois plus tôt, on ne te prenait pas, ça ne passait pas. » C'est comme la photo, être là au bon moment. Le sujet a finalement été publié dans plusieurs pays, on en parlait partout. J'ai aussi fait un film pour la télévision et enchaîné les conférences.

 

DBAS : Effectivement, cela vous a permis de passer à autre chose et surtout de vous faire un nom...

Franck Vogel :... et de vivre de ça. Il faut vraiment en vouloir, et je le dis aux jeunes. Je reçois tous les mois des demandes de stages, auxquelles je ne peux pas répondre favorablement. Mais je leur dis qu'il faut trouver un sujet, pas forcément un nouveau, mais le traiter de manière vraiment étonnante, complètement différente, ou alors trouver un nouveau sujet mais c'est très dur à trouver car tout a été fait, c'est quasi impossible. J'ai eu un coup de bol au final. Il faut un peu de chance et après, il faut de la persévérance. Au final, j'ai mis 5 ans, c'était très long. Il fallait tenir. Et je leur dis que certains n'y arrivent jamais. Et c'est vrai, je n'étais pas du tout sûr. Si je n'arrivais pas à vendre mon sujet là, j'arrêtais la photo pour trouver un boulot d'ingénieur, j'étais à la limite en fait. J'avais beaucoup investi et si ça ne passait pas, j'avais pris cette décision. Si je n'arrivais pas au bout des 5 jours à vendre, et bien tant pis, c’est que je n’étais pas fait pour ça. Et si finalement... C'est la belle histoire.

Conférence de Franck Vogel aux lycéens de NDS Istanbul, septembre 2018

Conférence de Franck Vogel aux lycéens de NDS Istanbul, septembre 2018

DBAS : Vous êtes arrivé à Istanbul avant-hier ? Quelles sont vos premières impressions.

Franck Vogel : Pour le moment, je n'ai vu que le Bosphore, c'est joli même s'il a plu, il y a une ambiance. On a aussi vu la place de Taksim avec Ferit (Düzyol, le commissaire de l'exposition), l'avenue Istiklal, c'est très vivant, ça bouge beaucoup. C'est une ville très très grande, je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi étendue. Je n'ai pas encore vu le centre historique et c'est ce que j'attends pour me faire une idée. Là, j'ai vu une ville plutôt moderne mais j'ai plus envie de découvrir le centre historique. Pour l'instant, c'est un peu dur d’en dire plus. Donc, mes premières impressions, c’est très grand, très développé.

Au vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul, 27 septembre 2018

Au vernissage de l'exposition "Fleuves frontières" de Franck Vogel à NDS Istanbul, 27 septembre 2018

Commissaire de l'exposition : Ferit Düzyol FD+

Exposition au lycée français Notre-Dame de Sion – Cumhuriyet Caddesi No 127 – Harbiye/İstanbul

Ouverte au public du vendredi 28 septembre au samedi 24 novembre 2018 (sauf les dimanches) de 11h à 18h (19h30 les soirs de spectacle ou de concert).

Pour aller plus loin : http://www.franckvogel.com/francais/

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M
Merci Nat pour ce super article.
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