10 Mai 2010
Cela faisait près d'un an que je n'avais pas remis les pieds à Sulukule, ce quartier d'Istanbul qui a fait couler beaucoup d'encre, mais aussi de larmes...
Ma première vision de Sulukule, un an après, le 13 avril 2010...
Le plus vieux quartier gitan au monde a vécu des siècles d'histoire avant de se retrouver à l'agonie, victime de certains choix... (cf. mon article d'avril 2009).
Entre les murs de la vieille ville et la mosquée Mihrimah Sultan construite par Sinan, Sulukule, ou plutôt ce qu'il en reste, est caché derrière ces murs de tôle
En y retournant, je me trouve face à des murs de tôle ondulée derrière lesquels quelques rares pans de murs surgissent çà et là, comme des fantômes, semblant s'attacher à la vie.
Le vide, le néant...
Ma gorge se noue de plus en plus au fur et à mesure que j'avance et découvre un nomansland où, au milieu des gravats et de la poussière, quelques rares vestiges d'un passé révolu hantent les lieux.
Une ruine au milieu des décombres, avec la mosquée pour toile de fond
C'est au siège de l'association de solidarité et de développement de la culture rom de Sulukule que j'ai rendez-vous, dans un café qui a déménagé entre temps.
Le siège de l'association
Si les roms de Sulukule ne souhaitent plus répondre à la presse, ayant assez vu passer les médias ces dernières années, c'est uniquement par le biais de ladite association que les informations circulent.
Les derniers démolitions datent du début de 2010
Şükrü, son Président, va pouvoir m'éclairer sur la situation actuelle de Sulukule. Ce sont finalement 337 familles qui ont quitté le quartier, au fur et à mesure des démolitions, pour habiter à une quarantaine de kilomètres de là, dans les appartements construits par Toki, l'agence pour le développement du logement.
Şükrü, président de l'association de Sulukule
A ce jour, 7 familles seulement y habitent encore... et pour cause. Şükrü a été le premier à revenir loger dans son quartier d'origine, il y a un an.
Hormis les loyers de ces logements Toki affectés aux roms de Sulukule - de 250 à 450 TL, soit 128 à 230 € -, les charges locatives mensuelles comme l'eau, le gaz, l'électricité et les charges communes, font grimper l'addition à près de 1000 TL/mois (510 €)... une somme absolument impossible à assumer pour ces familles.
Si l'on ajoute encore les frais de transport quotidiens, il n'est pas nécessaire de sortir d'une école supérieure pour comprendre que l'équation ne tient pas la route...lorsqu'on vit habituellement avec 200 ou 300 TL par mois.
C'est ainsi que les roms de Sulukule sont revenus à leurs premières amours. La plupart des familles ont vécu 3, 4 tout au plus 5 mois dans les appartements Toki.
Chaque logement libre a été rapidement occupé par une famille mise au courant par ceux qui ont fait le choix de faire demi-tour avant elle. Un nouveau Sulukule est né de ses cendres, très différent du premier...
Les occupations des membres de l'association présidée par Şükrü sont nombreuses. L'aide à la recherche d'emplois est une de ses priorités.
Des rendez-vous sont pris avec d'importantes entreprises de textile, de nettoyage, de distribution de repas et pharmaceutiques notamment, pour leur demander d'octroyer des contingents d'emplois aux roms.
Des murs de tôle ont envahi les lieux
De même, l'association poursuit son oeuvre quant à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture aux enfants.
Dans le cadre d'Istanbul 2010, capitale culturelle européenne, un projet monté par l'association et une université de la ville, et présenté à l'agence Istanbul 2010, a vu le jour. Il devrait permettre à 40 enfants de bénéficier de cours de musique.
Derrière ces murs et entre ceux de la vieille ville, quelques rares ouvriers s'affairent
En outre, l'orchestre rom de Sulukule perpétue la richesse musicale tsigane lors de concerts et de festivals.
Lorsque je demande à Şükrü comment il voit Sulukule dans un an, sa réponse me laisse songeuse : "Sulukule, comme on l'a connu, n'existera plus. Toutefois, les nouvelles constructions prévues par la mairie n'ont pas démarré à ce jour."
Un paysage de désolation
Şükrü poursuit : "Si la municipalité changeait d'avis et décidait de recréer un quartier destiné aux roms, là où ils ont toujours vécu... Mais une telle décision aurait l'effet d'une bombe. Je ne peux toutefois pas croire que des gens riches habitent dans des villas proches d'immeubles habités par des roms..."
Je repars, non sans emporter avec moi, le souvenir encore intact des habitations vues la première fois, il y a quelques années, mais aussi de celles qui vivaient leurs derniers mois de grâce au printemps dernier.
Les plus douloureuses images ne sont gravées que dans ma mémoire, les photos prises ce jour-là ayant été, à l'époque, effacées par mégarde.
Je ne suis pas prête d'oublier les décombres encore fumants de maisons vues encore quelques semaines auparavant, et sur lesquels les anciens occupants étaient assis, alors qu'un cortège d'employés municipaux traversait le quartier, tirant derrière eux, des poubelles à roulette emmenant une partie de l'âme de Sulukule...