27 Mai 2010
L'Institut Français d'Istanbul accueillait mercredi soir un parterre de figures de la culture française et turque.
C'est dans ces murs que Jack Lang, ancien Ministre Français de la Culture sous François Mitterrand et créateur de la fête de la musique - qui a fait bien des émules de par le monde - a évoqué la modernité culturelle de la ville d'Istanbul.
De gauche à droite Jack Lang, ancien Ministre de la Culture, Bernard Emié, Ambassadeur de France en Turquie et son épouse
Dans la salle de spectacles archi comble de l'Institut Français étaient réunis, aux côtés des acteurs de la vie politique, sociale et culturelle française et turque, les représentants des plus illustres universités de la ville, telles Bilgi, Galatasaray, Istanbul, Istanbul Teknik, Kadır Haş, Koç, Marmara et Yeditepe.
La rencontre a eu lieu avec la participation de deux des plus grands noms de la culture en Turquie, Yaşar Kemal, écrivain turc parmi les plus connus dont les ouvrages sont publiés en 35 langues, et Zülfü Livaneli, artiste complet s'il en est, connu en tant que musicien et interprète, mais également comme écrivain et réalisateur de films. Livaneli est également Ambassadeur de bonne volonté de l'Unesco depuis 1995.
De gauche à droite Yaşar Kemal, Jack Lang et Zülfü Livaneli
Après la lecture de quelques textes de Yaşar Kemal et de Nazım Hikmet, autre légende de la littérature turque, les trois invités de marque ont d'abord tenu à saluer, chacun de façon très personnelle et émouvante, la mémoire d'Altan Gökalp, décédé le 20 avril dernier. Cet anthropologue réputé, directeur de recherches au CNRS et traducteur des oeuvres de Yaşar Kemal, avait en fait imaginé l'événement et initié cette rencontre.
Jack Lang, tout comme Zülfü Livaneli, vont ensuite tour à tour retracer l'immense héritage culturel d'Istanbul, cette ville, qui, comme Paris, "autant tu lui demandes, autant elle va t'offrir..."
L'ancien Ministre évoque la chance et le bonheur qui a été le sien "de traverser l'âme de la Turquie", la première fois alors qu'il avait une vingtaine d'années. Créant alors le festival de théâtre étudiant, une des premières compagnies à avoir donné force à cet événement international était turque et a obtenu un succès considérable avec un texte inspiré par Yaşar Kemal, auteur que Jack Lang ne pensait pas à l'époque avoir un jour le privilège de connaître.
Jack Lang durant son intervention à l'Institut Culturel Français d'Istanbul
Il évoque aussi sa découverte d'Istanbul, sa rencontre avec Mehmet Ulusoy, la présence de Yaşar Kemal au séminaire mondial de l'art et de la culture organisé par Jack Lang avant les élections présidentielles de 1981, les contacts privilégiés noués avec le monde culturel turc durant son Ministère, l'accueil réservé au grand cinéaste Yılmaz Güney dont il a contribué à la production de son dernier film.
Jack Lang, docteur honoris causa de l'Université de Bilgi d'Istanbul depuis plusieurs années, sur l'initiative de Zülfü Livaneli et Yaşar Kemal, ne manque pas d'idées ni de suggestions lorsqu'il a proposé par exemple en son temps que cette Université, à travers ses professeurs et ses étudiants, engage un dialogue scientifique avec des professeurs et des historiens arméniens ou lorsqu'il imagine que le magnifique immeuble qui abrite l'agence Istanbul 2010 puisse abriter une maison culturelle de l'Europe, "ce serait magnifique pour la culture, pour la présence de la Turquie en Europe, magnifique pour l'avenir."
Jack Lang et Zülfü Livaneli
Jack Lang dit aussi que "Comme ami de la Turquie qui souffre parfois de constater à quel point l'ignorance est grande des Français sur les Turcs, peut-être aussi des Turcs sur les Français, je suis heureux de ces deux événements... que sont la saison de la Turquie en France, dont le magnifique concert donné à Paris par Zülfü, et Istanbul capitale culturelle de l'Europe." Le Ministre se souvient avec émotion des débuts de cette initiative dont l'idée lancée en décembre 1985 à Athènes par son amie Melina Mercouri, alors également Ministre de la Culture, et lui-même.
"Je pense que cette belle idée a de grandes vertus pour une ville et pour un pays. D'abord, elle est le révélateur de la richesse du pays et de la ville... et de ses faiblesses aussi. Elle est aussi, dans la ville où elle se déroule, un fédérateur d'énergies, un catalyseur de talents, un démultiplicateur d'initiatives... Et quand ça marche bien, et ça marche bien à Istanbul, l'événement ne s'achève pas à la fin de l'année, il n'est qu'un commencement et une préfiguration de quelque chose de plus fort. Je suis certain qu'Istanbul, capitale culturelle de l'Europe, a de beaux et grands jours devant elle." dit l'ancien Ministre.
Jack Lang et Zülfü Livaneli
Il apprécie notamment la formule utilisée par Istanbul 2010, "les fourmis de la culture en marche" en parlant des enfants vers qui beaucoup de choses ont été faites dans le cadre d'Istanbul 2010.
"... Ici tout est histoire, l'ancien et le nouveau ne cessent ici de dialoguer parfois en confrontation mais souvent en bonne intelligence" évoque Jack Lang. Il continue ainsi "L'histoire côtoie ici le présent avec de fugitives incursions vers l'espace encore anonyme virtuel de demain. Istanbul change, c'est une évidence, elle apparaît comme un melting pot d'un nouveau genre. Je ne sais pas si les habitants le perçoivent pleinement mais Istanbul est aujourd'hui devenue une des grandes capitales de la vie intellectuelle et sociale."
Yaşar Kemal, Ara Güler et Zülfü Livaneli, 3 grands noms indissociales de la culture en Turquie
C'est en tout cas un plaidoyer pour Istanbul et pour la Turquie que Jack Lang fait ici tout au long de son intervention, non sans évoquer son souhait de voir entrer le pays dans l'Union Européenne. Il fait sienne une très belle phrase de Jean-François Perouse, urbaniste, chercheur éminent de l'I.F.E.A. et professeur "l'Europe doit comprendre qu'Istanbul lui offre une énergie dont elle a grand besoin". Il va clôre son intervention en disant "oui à la modernité à condition qu'elle ne soit pas synonyme de destruction, ni de ségrégation".
Zülfü Livaneli, quant à lui, évoque avec poésie et passion la culture ou plutôt les cultures multiples d'Istanbul et termine par une question "Est-ce que l'âme d'une ville peut être changée par des idéologies ?", vaste débat...
Zülfü Livaneli
Après cette rencontre, toute l'assemblée se retrouve dans les jardins de l'Institut Culturel Français pour le vernissage de l'exposition photos "Istanbul-Marseille" (qui se tient jusqu'au 19 juin) où sont exposées des oeuvres du mythique "oeil d'Istanbul" Ara Güler, présent à cette manifestation, Catherine Izzo et Bernard Plossu.
De gauche à droite Bernard Emié, Ambassadeur de France en Turquie, Jack Lang, ancien Ministre de la Culture, l'écrivain Yaşar Kemal, le photographe Ara Güler, Zülfü Livaneli et la photographe Catherine Izzo
La réunion à l'Institut Culturel Français d'Istanbul, je dirais même l'union de toutes ces figures et grandes pointures de la culture, a parfaitement illustré la densité de la richesse de cette ville extraordinaire et aux mille et un visages qu'est Istanbul.
Des photos d'Ara Güler ornent la façade extérieure de l'Institut culturel Français d'Istanbul