25 Juin 2009
Marie-France, la rédactrice en Chef du tout jeune et dynamique magazine "Bonjour Istanbul" ... et auteur du blog "Du miel aux épices" a souhaité m'associer à cette nouvelle aventure.
Voici donc l'article publié dans l'édition d'été du numéro 2 qui vient tout juste de paraître et dont je recommande fortement la lecture aux francophones d'Istanbul
Nathalie Ritzmann vous emmène dans la Medrese Hüseyin ağa située à côté de Küçük Aya Sofya camii, à la rencontre d’Ahmet qui perpétue un art très ancien, l’incrustation de nacre
Un peu d’histoire sur la technique de la marquetterie va nous conduire à l’atelier d’Ahmet.
Dans les travaux d’incrustation, le bois utilisé comme fond est ciselé au couteau et des formes de couleur collées dans les ouvertures. Jusqu’en 1462, des particules d’arbres de couleur naturelle sont utilisées. Plus tard, des petits morceaux de bois précieux colorés dans des bains d’huile chaude ont servi pour les incrustations. A la même époque, une technique de reflet donné par du sable partiellement brûlé a également vu le jour.
Un kemençe classique, violon turc, embelli par Ahmet
En 1560, des scies fines de poil obtenues avec des ressorts d’horloge préparés avec des limes apportent une nouvelle dimension aux objets incrustés. Il est possible de couper en une seule opération, en mettant des placages de différentes couleurs superposés ainsi que des formes arrondies et complexes, très difficiles à obtenir avec un couteau.
Arrière du kemençe présenté ci-dessus
A cette période, des fleurs et feuilles stylisées agrémentant les ornements anatoliens, iraniens et arabes font leur apparition. En Turquie, l’incrustation est davantage utilisée sur les objets de la maison, alors qu’en Occident, cette technique concerne plutôt les meubles.
La première fois que j’ai rencontré Ahmet dans son atelier, il y a un an, il incrustait des fines lamelles de nacre dans une guitare. Adresse, minutie et patience étaient au rendez-vous, le temps semblait s’être arrêté.
Juin 2008, lors de notre première rencontre
Ahmet est né en 1973 à Canakkale de père menuisier. A l'âge de 12 ans, son occupation favorite consiste à tailler dans des morceaux de bois avec son couteau et à confectionner des encadrements de miroirs…
A l'âge de 20 ans, il s'installe à Istanbul et travaille dans l'hôtellerie durant 5 ans. Après avoir rencontré un artisan qui façonne l'argent et la corne, il donne sa démission en 1998 et apprend le métier aux côtés du maître installé à côté de Alay Köşkü, dans le quartier de Sultanahmet.
Arrière d'un kemençe, violon traditionnel turc, restauré par Ahmet
Le maître-artisan déménage à Bursa en 2001 et Ahmet décide alors d'ouvrir son premier petit atelier. Sa première commande consiste à participer à la restauration d'un ud, instrument de musique traditionnel à corde.
Dans le cadre de la promotion de l'artisanat local, le Ministère de la Culture Turc lui passe ensuite de nombreuses commandes exposées dans leurs magasins de présentation.
Avant du kemence ci-dessus, restauré par Ahmet
Ahmet travaille régulièrement avec un artisan installé dans le même quartier, Ferdun Obul, qui fabrique des instruments de musique. Ahmet crée et taille les motifs pour les ud, les violons, les rebap (autre instrument à cordes utilisé par les mevlevi) et Ferdun procède à leur montage.
En 2002, il fait la connaissance d'un collectionneur turc de boîtes et d'instruments de musique pour qui il commence à réaliser différents travaux.
Ahmet Sezen, en plein travail
En 2004, un grec de passage lui demande de restaurer un coffre... en trois jours, alors que le travail demandé représente vingt journées de travail ! Jour et nuit, sans interruption, avec d'autres artisans, Ahmet restaure cette pièce et relève ainsi le défi... Il a depuis réalisé de nombreuses commandes pour ce client.
Boîte joliment ouvragée
En juin 2005, suite à la disparition progressive de l’artisanat local, le Ministère de la Culture organise la première « Exposition des Doigts d'Or" à Sultanahmet à laquelle Ahmet et Ferdun participent. Début septembre de la même année, les deux compères se retrouvent lors d’une autre exposition à Izmir, puis une autre fin septembre à Antalya.
Ces expositions vont donner l'occasion à Ahmet à la fois de présenter son art mais également de proposer à la vente des compositions, telles des parures, des petits bijoux ou des miroirs encadrés et incrustés.
Chevalière incrustée de nacre, une création d'Ahmet réalisée conjointement avec Fatma
En 2006, le Ministère de la Culture organise un concours artisanal à Ankara et Ahmet remporte le premier prix avec un miroir à main. Ses créations se multiplient, tant des accessoires destinés aux hommes (porte-cartes de visite, boites de cigarettes), qu’aux femmes (colliers, bagues, miroirs de poche,…).
Fin 2006, il s'installe avec huit autres artisans dans la magnifique medrese Hüseyin ağa attenante à Küçük Aya Sofia camii, à Sultanahmet.
Depuis 2004, Ahmet forme des jeunes aux techniques de l'incrustation pour perpétuer cet art et depuis 1 an et demi, Fatma, âgée de 18 ans, travaille à ses côtés. Lors de ma récente visite, Fatma ponçait minutieusement, un par un, les carrés de nacre avant leur découpe.
Fatma, lors d'une opération de ponçage
La nacre utilisée vient des Philippines. Plus facile à travailler et de meilleure qualité que celle produite en Turquie, dans la région de Gaziantep, elle a l'avantage de proposer d’autres couleurs que le blanc, telles le vert ou le rouge. Il y a quelques années, la nacre s’achetait au kilo mais compte-tenu de la flambée des prix, c'est à la pièce qu'Ahmet s'approvisionne à présent. Pour donner un ordre de prix, un carré de 5 cm2 coûte 5 USD, le kg... 200 à 250 USD…
Le trait doit être sûr, compte-tenu de la finesse du travail
En 2008, Ahmet a réalisé en un mois et demi une boîte en bois tropical qui abrite à présent les reliques d’un saint reposant dans l'église Saint-Nicolas à Drama en Macédoine.
Ahmet devant des affiches représentant certains des ouvrages d'art réalisés
La pièce de démonstration qu’il me présente nécessite trois mois de travail continu. Un pendentif équivaut à une journée de travail, de même qu’un porte-cartes de visite. Une petite boîte, quant à elle, nécessite trois à quatre jours. 80 % de sa production annuelle est destiné aux collectionneurs et antiquaires.
Pièce de démonstration
Une dizaine d'ateliers perpétue cet art à Istanbul, dont celui installé au palais de Topkapı qui réalise toutes sortes de restaurations. Les techniques ancestrales sont toujours utilisées, mais de nouveaux concepts ont vu le jour au gré du temps.
Ahmet explique certains détails techniques à Fatma concenant une commande
Si vous visitez Küçük Aya Sofia camii, n'hésitez pas à faire un détour par l'atelier d'Ahmet qui se fera un plaisir de vous consacrer un peu de temps pour vous le faire visiter.
Ahmet Sezen – Sedefkâr
Küçükayasofya Cd. Hüseyin ağa Medresesi – Sultanahmet – Istanbul – ouvert tous les jours de 9 h à 18 h
Tél (0212) 516 34 53 – gsm 0532 356 45 72