Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 21 ans.

Du bretzel au simit

Ahmet Sezen, profession marqueteur

Marie-France, la rédactrice en Chef du tout jeune et dynamique magazine "Bonjour Istanbul" ... et auteur du blog "Du miel aux épices" a souhaité m'associer à cette nouvelle aventure.

Voici donc l'article publié dans l'édition d'été du numéro 2 qui vient tout juste de paraître et dont je recommande fortement la lecture aux francophones d'Istanbul

 

 
Nathalie Ritzmann vous emmène dans la Medrese Hüseyin ağa située à côté de Küçük Aya Sofya camii, à la rencontre d’Ahmet qui perpétue un art très ancien, l’incrustation de nacre

 

Un peu d’histoire sur la technique de la marquetterie va nous conduire à l’atelier d’Ahmet.

 

Dans les travaux d’incrustation, le bois utilisé comme fond est ciselé au couteau et des formes de couleur collées dans les ouvertures. Jusqu’en 1462, des particules d’arbres de couleur naturelle sont utilisées. Plus tard, des petits morceaux de bois précieux colorés dans des bains d’huile chaude ont servi pour les incrustations. A la même époque, une technique de reflet donné par du sable partiellement brûlé a également vu le jour.

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                           Un kemençe classique, violon turc, embelli par Ahmet
 

En 1560, des scies fines de poil obtenues avec des ressorts d’horloge préparés avec des limes apportent une nouvelle dimension aux objets incrustés. Il est possible de couper en une seule opération, en mettant des placages de différentes couleurs superposés ainsi que des formes arrondies et complexes, très difficiles à obtenir avec un couteau.

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                                Arrière du kemençe présenté ci-dessus
 

A cette période, des fleurs et feuilles stylisées agrémentant les ornements anatoliens, iraniens et arabes font leur apparition. En Turquie, l’incrustation est davantage utilisée sur les objets de la maison, alors qu’en Occident, cette technique concerne plutôt les meubles. 

La première fois que j’ai rencontré Ahmet dans son atelier, il y a un an,  il incrustait des fines lamelles de nacre dans une guitare. Adresse, minutie et patience étaient au rendez-vous, le temps semblait s’être arrêté.

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                                       Juin 2008, lors de notre première rencontre
 

Ahmet est né en 1973 à Canakkale de père menuisier. A l'âge de 12 ans, son occupation favorite consiste à tailler dans des morceaux de bois avec son couteau et à confectionner des encadrements de miroirs…

A l'âge de 20 ans, il s'installe à Istanbul et travaille dans l'hôtellerie durant 5 ans. Après avoir rencontré un artisan qui façonne l'argent et la corne, il donne sa démission en 1998 et apprend le métier aux côtés du maître installé à côté de Alay Köşkü, dans le quartier de Sultanahmet.

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                         Arrière d'un kemençe, violon traditionnel turc, restauré par Ahmet
 

Le maître-artisan déménage à Bursa en 2001 et Ahmet décide alors d'ouvrir son premier petit atelier. Sa première commande consiste à participer à la restauration d'un ud, instrument de musique traditionnel à corde.

Dans le cadre de la promotion de l'artisanat local, le Ministère de la Culture Turc lui passe ensuite de nombreuses commandes exposées dans leurs magasins de présentation.

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                            Avant du kemence ci-dessus, restauré par Ahmet
 

Ahmet travaille régulièrement avec un artisan installé dans le même quartier, Ferdun Obul, qui fabrique des instruments de musique. Ahmet crée et taille les motifs pour les ud, les violons, les rebap (autre instrument à cordes utilisé par les mevlevi) et Ferdun procède à leur montage. 

En 2002, il fait la connaissance d'un collectionneur turc de boîtes et d'instruments de musique pour qui il commence à réaliser différents travaux.

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                                              Ahmet Sezen, en plein travail
 

En 2004, un grec de passage lui demande de restaurer un coffre... en trois jours, alors que le travail demandé représente vingt journées de travail ! Jour et nuit, sans interruption, avec d'autres artisans, Ahmet restaure cette pièce et relève ainsi le défi... Il a depuis réalisé de nombreuses commandes pour ce client.

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                                                 Boîte joliment ouvragée

En juin 2005, suite à la disparition progressive de l’artisanat local, le Ministère de la Culture organise la première « Exposition des Doigts d'Or" à Sultanahmet à laquelle Ahmet et Ferdun participent. Début septembre de la même année, les deux compères se retrouvent lors d’une autre exposition à Izmir, puis une autre fin septembre à Antalya.
 

Ces expositions vont donner l'occasion à Ahmet à la fois de présenter son art mais également de proposer à la vente des compositions, telles des parures, des petits bijoux ou des miroirs encadrés et incrustés.

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        Chevalière incrustée de nacre, une création d'Ahmet réalisée conjointement avec Fatma
 

En 2006, le Ministère de la Culture organise un concours artisanal à Ankara et Ahmet remporte le premier prix avec un miroir à main. Ses créations se multiplient, tant des accessoires destinés aux hommes (porte-cartes de visite, boites de cigarettes), qu’aux femmes (colliers, bagues, miroirs de poche,…).

Fin 2006, il s'installe avec huit autres artisans dans la magnifique medrese Hüseyin ağa attenante à Küçük Aya Sofia camii, à Sultanahmet.

Depuis 2004, Ahmet forme des jeunes aux techniques de l'incrustation pour perpétuer cet art et depuis 1 an et demi, Fatma, âgée de 18 ans, travaille à ses côtés. Lors de ma récente visite, Fatma ponçait minutieusement, un par un, les carrés de nacre avant leur découpe.

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                                    Fatma, lors d'une opération de ponçage
 

La nacre utilisée vient des Philippines. Plus facile à travailler et de meilleure qualité que celle produite en Turquie, dans la région de Gaziantep, elle a l'avantage de proposer d’autres couleurs que le blanc, telles le vert ou le rouge. Il y a quelques années, la nacre s’achetait au kilo mais compte-tenu de la flambée des prix, c'est à la pièce qu'Ahmet s'approvisionne à présent. Pour donner un ordre de prix, un carré de 5 cm2 coûte 5 USD, le kg... 200 à 250 USD…

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                             Le trait doit être sûr, compte-tenu de la finesse du travail
 

En 2008, Ahmet a réalisé en un mois et demi une boîte en bois tropical qui abrite à présent les reliques d’un saint reposant dans l'église Saint-Nicolas à Drama en Macédoine.

 

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               Ahmet devant des affiches représentant certains des ouvrages d'art réalisés
 

La pièce de démonstration qu’il me présente nécessite trois mois de travail continu. Un pendentif équivaut à une journée de travail, de même qu’un porte-cartes de visite. Une petite boîte, quant à elle, nécessite trois à quatre jours. 80 % de sa production annuelle est destiné aux collectionneurs et antiquaires.

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                                                 Pièce de démonstration
 

Une dizaine d'ateliers perpétue cet art à Istanbul, dont celui installé au palais de Topkapı qui réalise toutes sortes de restaurations. Les techniques ancestrales sont toujours utilisées, mais de nouveaux concepts ont vu le jour au gré du temps.

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                Ahmet explique certains détails techniques à Fatma concenant une commande
 

Si vous visitez Küçük Aya Sofia camii, n'hésitez pas à faire un détour par l'atelier d'Ahmet qui se fera un plaisir de vous consacrer un peu de temps pour vous le faire visiter.

 

Ahmet Sezen – Sedefkâr

Küçükayasofya Cd. Hüseyin ağa Medresesi – Sultanahmet – Istanbul – ouvert tous les jours de 9 h  à 18 h

Tél (0212) 516 34 53 – gsm 0532 356 45 72

www.sedefkar.com

sedefkar@sedefkar.com

 

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B
il y a plein d'idées sur le site
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N
<br /> <br /> Merci<br /> <br /> <br /> <br />
M
MAGNIFIQUE!!!!<br /> Tant l'article que le travail de cet artisan ou plutôt de cet artiste!<br /> La medrese en face Küçük Aya Sofia est à mon avis un endroit idéal pour ces artistes. Nakkaş Rumi qui fait de très belles aquarelles y a également son atelier.
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N
<br /> J'y suis retournée hier pour quelques heures de tranquillité. Tu as raison, c'est un havre de paix tout à fait adapté.<br /> <br /> <br />
C
En cherchant "bonjour istanbul" sur internet j'ai trouvé le N°1 à lire alors je me le suis enregistré en favoris et je le lirai dans la journée. Marie France a bien fait les choses pour son lancement et j'espère que tu auras encore l'occasion de collaborer à ce magazine
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N
<br /> Oui, nous avons programmé un article pour la revue de la rentrée.<br /> <br /> <br />
E
c est vraiment de lart... merci encore pour ce partage bises et bonne nuit
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N
<br /> L'art, tel que je l'aime !<br /> <br /> <br />
S
Bravo, Nat, félicitation pour ta collaboration avec ce nouveau journal, dont tu m'avais d'ailleurs parlé quand j'étais là-bas, si je ne me trompe pas.
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N
<br /> <br /> Ce magazine vient enrichir le petit monde de la presse francophone à Istanbul et c'est tant mieux. J'avais évoqué avec toi sa sortie mais je ne savais pas encore à l'époque que j'allais y<br /> contribuer.<br /> <br /> <br /> <br />
R
Magnifique travail pour un instrument superbe.<br /> <br /> La coïncidence est assez étonnante : sais-tu (non, tu ne sais pas encore !) que quand je suis à l'ordinateur, pour lire tes articles par exemple ou rédiger les miens, mais aussi avant ma retraite, quand je corrigeais les travaux de mes Etudiants, j'écoutais (j'écoute encore très volontiers), parce que cela m'apaise, des joueurs de oud ? Notamment d'excellents cd's interprétés par Ara Dinkjian, Abdel Salameh et Driss el Maloumi, pour ne citer qu'eux ...<br /> <br /> Je ne suis pas musicien, Nat; peut-être un peu mélomane, mais absolument pas historien de la musique et de ses instruments. Je sais néanmoins que le oud n'est pas traditionnel que de la Turquie, mais qu'il fait partie du floklore de beaucoup de pays arabes : les artistes que je viens de citer sont soit marocains pour les deux derniers, et arménien, pour le premier ...<br /> <br /> En revanche, je ne connais pas encore de joueur de oud turc. Aurais-tu des références à me proposer ?<br /> <br /> Bon. Je ne peux évidemment cacher plus longtemps que le oud (dont le terme "luth", dérive, par parenthèses) existe depuis la plus haute antiquité, en Babylonie, certes, mais aussi (nous y voilà, penseras-tu !!!!) en Egypte : des représentations en sont connues dans certaines tombes pharaoniques de la XVIIIème dynastie.<br /> <br /> Mais, ne te méprends pas, ce n'est pas la raison pour laquelle j'apprécie cet instrument reposant, apaisant ...
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N
<br /> L'oud (ud) est en effet un instrument de musique traditionnel qu'on retrouve dans de nombreux pays du Moyen-Orient et du Proche-Orient. Je ne connaissais pas ton goût prononcé pour ce typique de<br /> musique qui est en effet très apaisant. Concernant les références de joueurs célèbres, je vais faire mon enquête. Je prévois également, dès que faire se peut, de réaliser un reportage sur l'ami<br /> d'Ahmet, créateur d'instruments et que j'ai eu le plaisir de croiser lors de mon dernier passage... L'origine de l4oud est vraiment intéressante et si lointaine ! Merci pour ces éclaircissements.<br /> <br /> <br />
D
Des Doigts d'or...C'est très juste.
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N
<br /> Rien de moins...<br /> <br /> <br />
L
Un seul mot : ADMIRABLE<br /> Bisous
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N
<br /> Merci Lili !<br /> <br /> <br />
L
Quel métier magnifique ! Le violon traditionnel Turc ressemble à s'y mprendre à notre 'bouzouki" .. Ici aussi ces instruments sont décorés de marquetterie .Merci de ton reportage
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N
<br /> <br /> Quand l'art n'a pas de frontière !<br /> <br /> <br /> <br />
C
Magnifique article, comme tu sais si bien les faire,sur un artisanat précieux qui me plait énormement.
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N
<br /> <br /> Je voulais depuis longtemps consacrer un article à cet artisan d'exception mais je voulais qu'il ait une place de choix, dans le magazine "Bonjour Istanbul" sa place est toute trouvée.<br /> <br /> <br /> <br />