4 Avril 2009
"Je repense à tous ces Turcs et tous ces Kurdes qui m'ont offert sans compter leur temps, leur soupe et parfois leur lit. Le souvenir de ces gestes fraternels fait battre mon coeur un peu plus vite, et la marche n'y est pour rien. Certes, j'ai vécu des jours sombres depuis mon départ, mais si peu, comparés aux heures belles et claires de cette Turquie que je vais bientôt quitter. Selim, le philosophe ; Mustapha, le bakkal ; Hikmet, l'étudiant ; Shoukrane, l'hôtesse ; Behçet, le vieil intellectuel ; Arif, le paysan et tous les autres, vous êtes mes amis. Des amis rares. Amitiés d'un jour, et pourtant fortes et solides comme si le temps les avait affermies.
Je n'avais jamais éprouvé cela auparavant : que l'amitié, l'amour, ne sont pas affaires de temps mais le résultat d'une secrète alchimie, et que l'éternité, non plus, n'est pas une affaire de durée. Tout homme, dit-on, revient changé d'un pèlerinage. Mes amis Kurdes et Turcs,.. je rentrerai... avec votre sourire et votre accolade de l'adieu au fond de moi."
Extrait de "Longue marche"
"Longue marche" est le premier des trois récits de Bernard Ollivier. Ce sexagénaire, ancien journaliste politique puis économique suit la trajectoire de la Route de la Soie à pied, soit 12000 kilomètres qui le mènent d'Istanbul à Xian en Chine, entre 1999 et 2002.
Il y raconte sa traversée de l'Anatolie, d'Istanbul jusqu'à l'autre bout de la Turquie, durant deux mois, à compter du 6 mai 1999.
Dans un village entre Kars et Ani, dans l'Est du pays
I
Ce livre m'a fait sourire, frémir, m'a "parlé", parlé de certains endroits que je connais, de certaines situations que j'ai vécues, de celles qu'on n'oublie pas... tant elles sont riches humainement parlant, fortes en émotions.
En dehors du tracé de cette route mythique empruntée par les caravanes, en dehors de cette recherche et de cette découverte de soi-même, c'est aussi la découverte d'un pays, de ses habitants, d'une façon différente de la plupart des voyageurs.
C'est également un ouvrage sur l'être humain, sur la communication, l'échange, l'amitié, ces notions si importantes à mes yeux et qu'on trouve en Turquie au hasard de sa route.
S'asseoir à côté du poêle qui ronronne et parler...
Cette "Longue marche" n'a pas été des plus faciles, mais c'est une expérience qui mérite d'être connue. Je ne peux que vous conseiller de lire cet ouvrage... qui vous donnera autant qu'à moi, je n'en doute, envie de plonger dans les suivants qui racontent la suite de son périple jusqu'en Chine, "Vers Samarcande" et "Le Vent des steppes".
Parcourir la Turquie à pied, certaines régions en particulier, aller de village en village, j'y ai déjà pensé aussi... à maintes reprises. C'est le meilleur moyen d'aller au plus profond des entrailles d'un pays, de sentir battre son coeur. Je n'ai pas de date sur mon calendrier de projets pour concrétiser cette idée, mais je compte bien en trouver une, sans doute avant l'âge de la retraite.
Village d'Anatolie près de Hoşap
"Cette Turquie que je vais bientôt quitter m'aura appris la signification d'un des plus beaux mots de sa langue : "misafir". En français aussi, j'aime bien ce mot "hôte"... Mais je crois n'avoir jamais, au cours de mes diverses pérégrinations, rencontré une telle chaleur, un si grand naturel dans l'ouverture de sa maison aux autres qu'en Turquie. Dans les villages, j'ai toujours été frappé que l'orgueil de celui qui reçoit soit partagé par le reste des habitants.
Dans nos pays "civilisés", cette notion de l'accueil a été peu a peu oubliée ou pervertie. On reçoit la famille et le cercle étroit des amis. Quant aux autres, il y a des maisons faites pour ça, les hôtels... La porte ouverte, sans espoir de retour ou de bénéfice, sans conditions, n'est plus qu'une survivance rare d'avant la prospérité. La table ouverte pour le plaisir de la découverte, de l'échange et de la conversation est-elle encore possible chez nous ?"
Extrait de "Longue marche"
Bernard Ollivier a fondé en 2000 l'association Seuil qui prend en charge des adolescents délinquants et leur fait parcourir 2500 kilomètres, sac au dos, dans des pays étrangers d'Europe, afin qu'ils trouvent, dans l'effort quotidien et la rencontre avec l'autre, les repères qui leur manquent.