16 Février 2009
Irène Mélikoff, un nom qui ne vous dit peut-être pas grand chose... et pourtant, c'est une éminente turcologue, grande spécialiste des cultures de l'Orient, spécialiste de renommée mondiale de l'Islam hétérodoxe turc, qui est décédée le 8 janvier dernier à Strasbourg, à l'âge de 91 ans.
Née le 7 novembre 1917 à Saint-Petersbourg, elle est la fille d'un homme d'affaires fortuné originaire de Bakou. En raison de la vague révolutionnaire qui sévit alors en Russie, la famille quitte le pays et s'installe à Paris après un court séjour en Finlande.
Irène Melikoff dans son appartement strasbourgeois en 2006, en arrière-plan un tableau représentant sa mère - photo mise à disposition par Reha Yünlüel
A 14 ans, Irène découvre le Divan de Hafiz, les oeuvres de Sa'adi et les quatrains d'Omar Khayyam. L'Orient la charme ! Les arts, les littératures et les courants spirituels de l'univers turco-iranien vont devenir ses compagnons de tous les jours jusqu'à la fin de sa vie.
A la fin des années 30, Irène Mélikoff entame des études de turc et de persan à l'Ecole Nationale des Langues Orientales. Jean Deny, Adnan Adıvar et Henri Massé, de grands spécialistes, seront ses professeurs. En 1940, elle se marie avec Faruk Sayar, successeur d'Adnan Adıvar et interrompt ses études en raison de la Seconde Guerre Mondiale.
Après avoir séjourné sept ans de séjour en Turquie, elle retourne à ses études parisiennes, prépare un diplôme de persan, un autre à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, une licence de lettres et un doctorat de lettres qu'elle soutient en 1957, à l'âge de 40 ans, à la Sorbonne.
Abü Muslım, le "porte-hache" du Khorassan, publié en 1962
Dès 1951, elle s'engage en parallèle, encouragée par Paul Lemerle, célèbre historien, et Claude Cahen, non moins célèbre professeur d'histoire musulmane, dans une carrière de chercheur au CNRS. En 1954 est publié son livre "Le destan d'Umur Pacha" qui raconte les conquêtes d'un émir turc d'Asie Mineure occidentale au XIVème siècle. Elle accède au grade de maître de recherche au CNRS en octobre 1963.
En 1968, Irène Mélikoff est nommée maître de conférences à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, puis professeur titulaire l'année suivante. Unanimement appréciée au sein de l'établissement, elle fait du Département d'études turques un des lieux les plus prestigieux de la turcologie française.
A cette époque également, secondée par Hossein Beikbaghban, professeur de persan, elle assure durant plusieurs années, la direction du Département d'études persanes et contribue ainsi au renouveau de cette spécialité à Strasbourg.
Irène Melikoff en 2007 à Strasbourg - photo mise à disposition par Reha Yünlüel
Ses études vont notamment permettre de mieux faire connaître la communauté Alévi, grâce aux informations recueillies durant de nombreuses années, tant sur leurs croyances et leur religion que sur leur littérature populaire, auprès des familles de cette confession.
L'âge de la retraite sonne en 1986, mais Irène Melikoff poursuit ses travaux scientifiques, participe à des colloques et congrès, continue d'écrire articles et livres.
Livre publié en 1995 - photo de Bettina Marchal-Gier
Fondatrice en 1969 de la revue internationale d'études turques Turcica, Irène Mélikoff, le Professeur Ömer Lütfi Barkan et d'autres noms éminents associés à la turcologie, ont créé le CIEPO (Comité International d'Etudes Pré-ottomanes et Ottomanes).
Promue entre autres en 1983 au rang d'officier dans l'ordre des Palmes Académiques, Irène Mélikoff a eu de nombreuses distinctions honoriques et a été maintes fois récompensée pour ses recherches. Elle était également membre d'honneur de la Türk Tarihi Kurumu (Fondation d'histoire turque).
Hadjı Bektach, un mythe et ses avatars, livre publié en 1998 - photo de Bettina Marchal-Gier
Cette femme, au parcours hors du commun, qui a vécu et oeuvré durant une quarantaine d'années en Alsace, méritait bien qu'on s'y intéresse et qu'elle soit plus connue du grand public.
Je tiens à remercier quatre personnes qui ont collaboré, chacune à leur façon, à la réalisation de cet article :
- Bettina Marchal-Gier, lectrice assidue, férue d'histoire et qui a attiré mon attention sur Irène Melikoff suite à son décès
- mon amie Tülay Helvacı dont le mari a eu l'occasion de rencontrer Irène Melikoff en France
- Musa Çimen, étudiant en doctorat au Département d'études turques à l'Université Marc Bloch à Strasbourg, en stage à l'IFEA d'Istanbul
- Reha Yünlüel, qui prépare son doctorat au Département d'études turques à l'Université Marc Bloch à Strasbourg