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Du bretzel au simit

Le lycée de Galatasaray, plus d’un demi-millénaire d’histoire

Derrière le somptueux portail qui donne sur Istiklal Caddesi à Istanbul, se trouve un bâtiment historique dans un écrin de verdure, le prestigieux lycée de Galatasaray. 




                                   

Le sultan Beyazıt II l'a fait construire en 1481 dans des conditions particulières.

Chassant sur les hauteurs de Galata, il découvre un jardin parfaitement entretenu au milieu duquel se trouve une cabane en piteux état. 

                
                              Le buste de Beyazıt II dans l'allée après l'entrée

Le vieil homme qui habite ces lieux est en train de tailler ses roses et invite le souverain à visiter son jardin.

En guise de remerciement, le sultan lui demande de faire un voeu qu'il exaucera.

L'homme souhaite que soit construit ici une école et un hospice (darüşifa).

  

C'est ainsi que "L'Ecole Impériale de Galata Saray" (le palais de Galata) voit le jour. Gül Baba ("le père à la rose", surnom donné au vieillard) est d'ailleurs enterré dans son jardin, à l'arrière du lycée, et c'est sans doute le plus bel honneur qu'on ait pu lui rendre.

 
                                             La tombe de Gül Baba

La mission de cet établissement était à l'origine de former et d'instruire les futurs cadres administrant le Palais. Le sultan lui-même y sera formé, au même titre que le personnel de confiance de l'administration ottomane.

 

En 1675, à la suite d'un soulèvement contre les autorités en place, les élèves les plus doués sont envoyés au Palais, les autres... intégrés dans des unités de cavalerie. L'école reste fermée durant dix ans. A sa réouverture, elle reprend sa mission initiale jusqu'après 1820 où elle devient une école de médecine et un quartier militaire.

Durant les décennies suivantes, l'Empire ottoman cherche à s'occidentaliser au maximum. Cette école va servir de tête de pont aux réformes du Tanzimat ("réorganisation" en turc ottoman) qui vont s'étaler de 1836 à 1876.

         

Le 1er septembre 1868, lors d'une cérémonie présidée par le sultan de l'époque Abdül Aziz, l'établissement devient "Lycée Impérial Ottoman" (Mekteb-i Sultanı) et les programmes dispensés sont calqués sur ceux des lycées français grâce aux efforts de Cemil Paşa, ambassadeur turc en France et Fuad Paşa, Ministre des Affaires étrangères.

L'école accueille des élèves âgés de 9 à 12 ans, de confessions différentes (des musulmans, des catholiques, des orthodoxes et des juifs). Selon leur niveau de connaissance du français et du turc, ils intègrent des classes préparatoires au lycée.

 
                                 Salle de classe en plein mois d'août 2008

En 1908, le directeur Tevfik Fikret instaure un cycle complet d'enseignement de 9 ans comprenant le primaire, le collège et le lycée. En plus des cours obligatoires, on peut y apprendre différentes langues tels que le persan, l'arménien, l'allemand,... et suivre des cours de violon et de piano.

  
                                                     Bibliothèque

En 1924, l'établissement prend le nom de "Lycée de Galatasaray" et les cours dispensés sont en harmonie avec les principes de la toute nouvelle République Turque instituée le 29 octobre 1923. Il n'est plus obligatoire de parler français durant les récréations et les cours de culture générale sont dispensés en turc.

Le lycée accepte ses premières élèves féminines en 1965 ; elles suivront les cours dans des bâtiments situés à Ortaköy, au bord du Bosphore ("Feriye Sarayları"), qu'Atatürk a alloué à Galatasaray au début des années 30.

   
                                            Terrain de football du lycée

Lors des festivités données en 1968 pour le 100ème anniversaire de la création du Lycée Impérial, le Président de la République Française Charles de Gaulle visite le lycée. En 1975, l'établissement entre dans la catégorie des lycées dits "anatoliens", avec un cycle complet d'enseignement de 8 ans. 

Enfin, le 14 avril 1992, naît "l'Etablissement d'Enseignement Intégré de Galatasaray" (E.E.I.G., en turc G.E.Ö.K.), qui réunit l'école primaire, le lycée et l'université, suite au protocole signé entre François Mitterrand, Président de la République Française, et Turgut Özal, huitième Président de la République de Turquie.

   


A l'heure actuelle, les cours de littérature, de géographie, d'histoire, de moralité et d'art  sont dispensés en turc. Par contre, la littérature française, la philosophie, la sociologie, les mathématiques et les sciences le sont en français. On apprend l'anglais à partir de la 6ème classe du cycle primaire, l'italien et le latin au lycée.

Le diplôme délivré à la sortie du lycée est l'équivalent du BAC français et les diplômés de Galatasaray sont admis dans les universités françaises sans être obligés de passer un nouvel examen.

 

Tant le lycée que l’université de Galatasaray sont à ce jour « la référence » en matière d’enseignement du français à Istanbul, même si d’autres établissements d’excellent niveau enseignent également la langue de Voltaire.

Durant ces 85 dernières années, deux Premiers Ministres, huit Ministres, de nombreux hauts fonctionnaires de l'Etat mais également des Académiciens, des juges, des écrivains, des médecins, des architectes, des ingénieurs, des journalistes, des artistes sont des "Anciens" de Galatasaray.


  
             Les bustes de tous les personnages qui ont marqué l'histoire du lycée de Galatasaray

Je souhaite remercier au passage Levent Demirciğil, ancien élève de Galatasaray, qui m'a fait visiter ce lieu chargé d'histoire et dont les roses du jardin ont le parfum et le raffinement de la cour ottomane.

                   
                                          Le portail donnant sur Istiklal Caddesi

 


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L
Un rêve d'enseigner à Galatasaray ? Peut-être actuellement, après la reprise en main qui a eu lieu vers 1979, tant le niveau était en danger ( mauvais résultats aux examens d'entrée à l'université<br /> ) à cause de l'incompétence de la direction et de la sous-direction qui géraient le lycée du milieu à la fin des années 70. Il faut reconnaître que la maîtrise du Français par les élèves était<br /> excellente. Il faut dire, que la première année du collège était consacrée à l'apprentissage intensif du Français. Ensuite, de la 6ème à la 12ème( Terminale ), la plupart des cours se faisaient en<br /> Français. Cependant, le niveau de fin d'étude, n'était pas celui du Baccalauréat français de l'époque ( niveau qui a bien baissé en France actuellement, même si on veut nous faire croire le<br /> contraire ). Il y avait un certain laxisme au niveau des exigences. Il n'y avait pas d'examen de fin d'année comme chez nous. Le contrôle continu était roi, avec toutes les pressions que cela<br /> engendre, pressions de l'administration et des élèves, pour avoir au moins le fameux beş ( 5 ) sur 10. De plus, pour avoir "la paix", de nombreux professeurs venant de France fermaient les yeux sur<br /> tous les ingénieux stratagèmes utilisés par les élèves pour frauder lors des contrôles. Ne voulant pas entrer dans ces combines, ce fut pour moi une mauvaise expérience lors de la première année (<br /> 1975-1976 ) de mon enseignement au titre de mon "service militaire" sous le statut de VSNA ( Volontaire du Service National Actif ). La deuxième année fut plus positive car je n'enseignais plus<br /> dans les classes de 12ème. Je garde un très bon souvenir de mes élèves de 9ème et 10ème. Revenu comme touriste en juillet 1979, j'ai retrouvé quelques-uns d'entre eux, au hasard d'une rencontre<br /> fortuite devant le lycée. Ils m'ont remercié de leur avoir offert un enseignement exigeant, en précisant "il n'y a qu'avec vous qu'on a vraiment travaillé, Monsieur". Un beau remerciement qui<br /> permet d'adoucir les mauvais souvenirs. N'empêche que cette difficile expérience n'a pas entamé l'amour profond que je porte pour le peuple turc. Je suis indigné par la mauvaise propagande qui<br /> sévit encore en Europe et tout particulièrement au plus haut niveau de l'État Français. C'est pourquoi, je remercie Nathalie pour l'immense talent qu'elle a pour faire découvrir le vrai visage de<br /> la Turquie.
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N
<br /> <br /> Merci Christian pour ce témoignage concernant le vécu au lycée de Galatasaray.<br /> <br /> <br /> <br />
F
C'est un rêve d'enseigner en ces lieux...
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N
<br /> C'est clair !<br /> <br /> <br />
S
Merci Nat pour ces belles photos ; elles me font d'autant plus plaisir qu'un ami très cher y a fait ses études et je peux certifier qu'au bout de presque 40 ans, il parle admirablement bien notre langue.
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N
<br /> Je connais plusieurs "anciens" également, il n'y a pas de doute, la qualité de la langue est au rendez-vous.<br /> <br /> <br />
J
D'après ce que tu écris je suppose que leur baccalaurèat est un peu plus "solide" que celui que les lycéens français obtiennent aujourd'hui!!<br /> Une belle batisse dont l'entretien semble parfait malgré le "grand age"!!<br /> A bientot!
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N
<br /> Il est certain que la formation dispensée à Galatasaray est d'excellent niveau. Effectivement, le bâtiment est parfaitement entretenu, on a une réputation ou on ne l'a pas. A bientôt.<br /> <br /> <br />
J
Quand j'ai vu la 6ème photo, je me suis tout de suite dit, Ouah ca ressemble à un bâtiment militaire, ce que tu confirmes dans le texte.<br /> Et puis quand il devient lycée et que tu nous fais rentrée dans les salles de classe, ça change d'atmosphère. Cette classe avec toutes ces bibilothèqued autour donne vraiment envie de retourner étudier.<br /> Et le terrain de foot au mileu du bâtiment, ils n'ont pas peur de casser les vitres ?<br /> En effet une belle école.
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N
<br /> Peut-être y a-t-il un budget spécial "carreaux cassés" ...<br /> <br /> <br />
M
Moi, prof d'histoire? Non, il y en avait déjà trop dans la famille (ma mère, un de mes frères et sa femme)!!!!!<br /> Mais j'avoue avoir fait une licence d'histoire avant de prendre une toute autre direction, si bien que l'Histoire et les questions historiques restent un de mes centres d'intérêts.
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N
<br /> Tout s'explique donc et la pomme n'est pas tombée loin de l'arbre...<br /> <br /> <br />
R
Midnight Express, bien sûr que j'ai compris que le pays avait évolué. Mais il suffisait d'un bon "agent de voyage" pour me donner envie de visiter les palais, les marchés et le pays (ailleurs que les sites monstrueusement touristiques ; eh oui, je suis comme ça !)
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N
<br /> <br /> Les sites "monstrueusement" touristiques comme tu les appelles, je les fuis de plus en plus... il y a tellement d'autres belles choses à découvrir... et à faire découvrir.<br /> <br /> <br /> <br />
F
Merci pour ce reportage qui réveille les 6 années de Galatasaray pendant lesquelles mon mari a été professeur de français dans ce vénérable lycée. Je l'ai accompagné au pilaf annuel où anciens élèves (parfois devenus des célébrités)côtoyaient à table professeurs et élèves du moment, se créant une chaîne de transmission dans la convivialité. Nous avons longtemps gardé des contacts avec eux (plutôt elles, plus fidèles) qui nous rendaient parfois visite à Valenciennes. Nous avons même assisté à un mariage entre deux anciens élèves six ans après notre départ, invités partout par les anciennes et fidèles élèves, devenues des femmes adultes mais toujours aussi extraordinairement sympathiques...
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N
<br /> Je comprends que pour vous ce soit effectivement de bons souvenirs... Le pilaf annuel du mois de juin je crois est une date importante dans le calendrier de Galatasaray !<br /> <br /> <br />
M
Merci pour ce billet et surtout les photos intérieures. Cette année j'ai eu la chance de pouvoir jeté un coup d'oeil dans le parc de derrière en discutant avec un des gardiens qui est né et a grandi en Allemagne.<br /> <br /> Peux-tu dire un mot du niveau de français des élèves actuellement? Mon copain Derya y a fait toute sa scolarité et 40 ans plus tard et bien que vivant depuis longtemps en Allemagne, il maîtrise toujours parfaitement le français. <br /> <br /> A la question de Richard: les lycées tels qu'on les connaît en France, ont été créés par Napoléon Ier et étaient au départ uniquement réservés aux garçons. Gérés d'une façon plutôt militaire c'était en général des internats qui allaient des petites classes (primaires) au baccalauréat. Ce n'est que sous la IIIème République vers la fin du XIXème siècle que furent créés les lycées de jeunes filles. La mixité fut introduite au début des années 60 dans les classes primaires et à partir de la rentrée septembre 1968 pour les classes de lycée.<br /> <br /> Personnellement j'ai fait l'école primaire mixte dans les classes primaires d'un lycée typiquement IIIème République qui avait encore un internat. Et à l'entrée en 6ème j'ai "inauguré" la mixité dans les lycées alors que mes frères ont encore fait toute leur scolarité dans des classes entièrement masculines!
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N
<br /> Dis donc Mirage, tu es une vraie prof d'histoire, je n'en reviens pas ! Merci pour toutes ces explications que j'ignorais. Concernant le niveau de français des "Galatasaraylı", c'est le best of il<br /> va sans nul doute !<br /> <br /> <br />
C
Minight express ce film mitique qui a fait la reputation de la turquie et malheureusement une mauvaise reputation, vois tu les gens sont traumatisé.
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N
<br /> Va jeter un oeil sur la réponse que je viens de faire à Reinette à ce sujet !<br /> <br /> <br />