7 Mars 2022
Article publié dans le No 240 (mars-avril-mai 2022) de la revue Le Monde de la Bible
Située en plein cœur de la ville d'Izmir, la magnifique agora de Smyrne cache encore bien des secrets, notamment derrière les grilles de la basilique romaine devant lesquelles défilent les nombreux touristes. Ici repose encore un trésor sur lequel les archéologues planchent depuis vingt ans : des milliers de petits dessins et inscriptions laissés sur les murs par les visiteurs dans l’Antiquité.
Un dessin antique de la basilique romaine de l'agora de Smyrne
L’œil malicieux et le sourire aux lèvres, Akın Ersoy, qui dirige les fouilles depuis 2007, a bien voulu ouvrir aux lecteurs du Monde de la Bible les portes de cet endroit inaccessible au public. Avec lui, nous remontons le temps, découvrant un ensemble de quatre galeries dont les deux plus anciennes, longues de 161 mètres, remontent à l’époque hellénistique. Il s’agissait alors de simples stoa, c’est-à-dire des portiques bordant l’agora. Plus tard, durant la période romaine, la stoa a été transformée en basilique civile – haut-lieu de la justice et du commerce - en ajoutant deux galeries au nord et un niveau supérieur supporté par de superbes arcs cruciformes.
Akın Ersoy, directeur des fouilles de l'agora de Smyrne
“Ce sont les murs des deux plus anciennes galeries qui ont été couverts de graffitis. Certains ont été gravés dans la pierre avec un objet pointu, d’autres ont été peints - on parle alors de dipinti - avec une peinture de couleur noire, marron ou rouge, selon le dosage de charbon de bois et d’oxyde de fer utilisé. Au total, nous en avons dénombré près de 3000, dont seulement 500 environ ont été identifiés et interprétés pour l’instant." explique Akın Ersoy.
Une des plus anciennes galeries de la basilique romaine de l'agora de Smyrne
Que représentent ces graffitis ? “Ils sont très variés. Nous avons 21 bateaux, dont un avec un œil peint sur la proue pour le protéger des foudres de Poséidon. Nous avons aussi des figures de gladiateurs, avec et sans armes, parfois en position de lutte. Il y a également des dessins d'organes génitaux symbolisant l'abondance au milieu de poissons, d'oiseaux et autres animaux, des représentations de monuments, des formes géométriques et des labrys (hache double symbolisant le culte de Zeus).Tout cela compose un étrange tableau, sans doute lié à la fonction judiciaire et commerciale du lieu."
Quelques uns des 3000 graffitis de la basilique romaine de l'agora de Smyrne (Izmir)
Et les inscriptions ? “C’est souvent un mot ou quelques lettres, par exemple des noms de personne, des dédicaces, des jeux de mot, des expressions argotiques... parfois des textes de 6-7 lignes". Avec une surprise de taille pour les lecteurs du monde de la Bible : parmi les graffitis, un texte plus long rédigé dans un langage crypté s'est révélé être une louange à la Vierge ! En d'autres termes, supposent les chercheurs, cette basilique civique a pu être fréquentée par des chrétiens se dissimulant par crainte de la haine dont ils faisaient l'objet de la part des païens.
Akın Ersoy, directeur des fouilles de l'agora de Smyrne (Izmir) montrant certaines inscriptions
On l’aura compris, ces graffitis, dont la réalisation débute après un séisme destructeur en 177-178, couvrent les premiers temps du christianisme jusqu’au début du IVe siècle. Voilà qui en redouble l’intérêt et l’importance. Et notre impatience d’en savoir plus ! Pour la satisfaire, Akın Ersoy nous indique une publication récente de l'historien américain Roger S. Bagnall, à laquelle il a contribué Graffiti from the Basilica in the Agora of Smyrna, avec Roberta Casagrande Kim, Burak Yolaçan et Cumhur Tanriver.
Quelques uns des 3000 graffitis de la basilique romaine de l'agora de Smyrne (Izmir)
Au terme de notre visite, Akın Ersoy referme avec soin la serrure et l’obscurité retombe sur cet antre aux merveilles, encore peuplé de questions et de mystères irrésolus.