3 Décembre 2018
Article publié dans le No 227 (Décembre 2018 - janvier -& février 2019) de la revue "Le Monde de la Bible"
A environ une quinzaine de kilomètres à l'est de la ville de Şanlıurfa, la route qui serpente au milieu du paysage aride et minéral de la chaîne montagneuse du Germuş, permet d'accéder à l'entrée du site de Göbekli Tepe, " la colline du nombril ".
Pour éviter de rôtir sous le soleil ardent, une navette parcourt inlassablement le kilomètre qui sépare les visiteurs du nouveau saint des saints turc, inscrit début juillet 2018 sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco après 6 ans d'attente.
Le pays compte bien attirer là des millions de touristes avides de lieux exceptionnels tel celui-ci, en plein cœur du Croissant Fertile. Après une fermeture au public durant 18 mois, le temps de construire un toit étonnant en forme de vague pour abriter les quatre premières zones excavées ainsi qu'un autre au-dessus d'un secteur en cours de fouilles, les visites se font depuis mi-février 2018 dans d'excellentes conditions.
Ces travaux, réalisés dans le cadre du projet de « Revitalisation de l'Histoire à Şanlıurfa » et d'un budget total de 6,1 millions d'€ - incluant quelques rénovations dans le centre-ville - ont été financés à 83,64 % par des fonds européens.
Les premières fouilles des universités d'Istanbul et de Chicago datent de 1963. Mais ce sont les travaux entrepris sous la direction de l'archéologue allemand Klaus Schmidt - à partir de 1995 jusqu'à son décès prématuré en 2014 - qui ont attiré l’attention sur le site. Sous l’égide du musée d’Urfa et de l'Institut Archéologique allemand, il a mis au jour trois niveaux d'occupation et une importante série d’enceintes circulaires de 10 à 20 m de diamètre, abritant d'extraordinaires monuments.
Les entrailles du site révèlent en effet au monde plusieurs ensembles de mégalithes néolithiques en forme de T érigés il y a quelque 11 500 ans. Certains mesurent jusqu'à 7 m de haut, peuvent peser jusqu'à 10 tonnes et sont ornés de figures animales d'une extrême précision représentant sanglier, serpent, semblant de vautour, reptile, oiseaux divers et araignées pour ne citer que quelques exemples de ce bestiaire.
Ces statues d'animaux mais aussi d'êtres humains sont exposées dans le superbe et gigantesque nouveau musée archéologique d’Urfa. Celui-ci, inauguré le 24 mai 2015, a réservé une place de choix à Göbekli Tepe. La partie la plus spectaculaire du site y est même reconstituée en grandeur nature !
Au grand public, ce lieu, assurément hors du commun, est présenté comme le sanctuaire le plus vieux au monde. Klaus Schmidt, qui n'avait trouvé sur place aucune trace de vie sédentaire, le considérait en effet comme un "lieu de pèlerinage ».
Cette interprétation religieuse ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les savants. Pour Edward Banning, par exemple, un anthropologue de l'université de Toronto, ces constructions ont aussi bien pu servir dans le cadre de la vie domestique, certes mêlée de sacré, des chasseurs-cueilleurs de l'ère néolithique précéramique.
L'Unesco, pour sa part, opte pour l'utilisation possible de ces monuments "dans le cadre de rituels, probablement funéraires, qui donnent un aperçu de la vision du monde et des croyances des populations vivant en Haute Mésopotamie".
La fonction exacte de ces pierres fera sans doute parler d'elle encore bien longtemps. Göbekli Tepe révélera-t-il un jour tous ses secrets ? En attendant, les visiteurs continuent de rêver...