22 Juin 2017
Article publié sur http://www.lepetitjournal.com d'Istanbul le 22 juin 2017
Dans le quartier de Fatih à Istanbul, une longue file composée de centaines de femmes musulmanes s'étire autour du mur d'enceinte de la mosquée Hırka-ı Şerif pour accéder à la porte d'entrée qui leur est réservée. Les hommes, nettement moins nombreux en ce jour de semaine, entrent par l'autre accès. Tous viennent voir et prier devant la tunique – hırka – du prophète Mahomet exposée tous les ans durant le mois du Ramadan.
La tunique du prophète Mohamet exposée durant le mois du Ramadan à Istanbul
photo prise avec l'autorisation des services de sécurité de la mosquée Hırka-ı Şerif
Le sultan Ahmet 1er a fait acheminer en 1611 ce précieux vêtement depuis Kuşadaşı en région égéenne pour Istanbul. C'est en 1851 que le sultan Abdülmecid 1er décide de faire construire la mosquée Hırka-ı Şerif comportant deux minarets, spécialement bâtie pour accueillir cette relique parmi les plus sacrées de l'islam.
Mosquée Hırka-ı Şerif à Fatih/Istanbul où est exposée durant le Ramadan la tunique du prophète Mahomet
La noble tunique (traduction de Hırka-ı Şerif) tissée en lin, coton et soie, aurait été offerte au VIIème siècle par le prophète à Uwais Al-Quarni, originaire du Yémen, converti à l’Islam et qui avait pris la route de Médine pour rencontrer Mahomet. Ayant appris que sa mère est malade, Al-Quarni retourne chez lui pour aller à son chevet sans jamais pouvoir croiser finalement la route du prophète.
Ce dernier, ému en ayant eu connaissance de cette histoire, donne sa tunique à Ali, son gendre et cousin, qu’il charge de la remettre à Al-Quarni. Après la mort du fidèle sans descendants directs, des proches de la famille conservent l’habit qui est transmis de génération en génération.
Al-Quarni est depuis vénéré dans la tradition islamique en tant que “sahabi”, autrement dit “proche compagnon du prophète”. Si dans l’islam, peu d’importance est accordée au corps humain, tout ce qui concerne directement Mahomet fait l’objet d’une vénération conséquente.
Après une demi-heure d'attente sur le trottoir et près de 45 minutes dans la cour, un nouveau groupe de femmes peut franchir le seuil de la mosquée actuellement en cours de restauration.
Un chant religieux de toute beauté est entonné par les fidèles, qui, après s'être déchaussées, grimpent à l'étage en jetant un oeil sur le panneau évoquant les travaux en cours, un autre sur l'affiche noire où sont étalés les noms des 301 victimes de la mine de Soma le 13 mai 2014.
Çiğdem fait partie des centaines de milliers de pèlerins qui affluent durant cette période. Elle est là aujourd'hui avec son fils Berkay âgé de 10 ans. Pour elle, originaire d'Antalya et d'Isparta et qui a grandi tout près de la mosquée Hırka I Şerif, c'est un rdv habituel depuis 35 ans.
Durant sa jeunesse, elle venait ici tous les jours pendant les deux dernières semaines du Ramadan, période durant laquelle était alors exposée la précieuse tenue. Depuis son mariage et son déménagement dans un autre secteur d'Istanbul, c'est un pèlerinage annuel qu'elle fait à présent avec un bonheur perceptible ; elle dit se sentir là un peu comme à La Mecque.
Cette autre femme vient pour la première fois de Gölcük près de Kocaeli dans un des cinq autobus affrêtés par la mairie pour cette visite qui figure au programme de la découverte des lieux saints musulmans d'Istanbul.
Patienter en prière devant l'entrée de la mosquée Hırka-ı Şerif à Istanbul
Jusqu'en 2010, les visiteurs pouvaient seulement apercevoir un bout de la tunique. Celle-ci était en effet soigneusement enroulé dans une superbe boîte en bois couverte d'ornements et seul un petit bout était visible.
Depuis 7 ans, une grande vitrine installée dans une belle salle ornée de lourdes et épaisses tentures vertes brodées, permet à tous les fidèles, après avoir parfois patienté des heures, de pouvoir admirer quelques secondes seulement et prier avant et en passant devant l'écrin de verre. A gauche de la tunique se trouvent aussi une petite fiole contenant quelques poils de la barbe du prophète et sur la droite une calotte brune en feutre abîmée par le temps que Mahomet a porté sur sa tête. Devant est posée une écharpe de la même couleur que la tenue.
La mosquée Hırka-ı Şerif à Istanbul, en cours de restauration
Plusieurs agents de sécurité veillent au défilé incessant des pèlerins et font entrer en alternance des groupes de femmes et d’hommes dans le saint des saints.
Exposée encore jusqu'à samedi, veille du premier jour de la fête du Ramadan, la tunique est visible de 10 h à 18 h en semaine et de 9 h à 18 h le week-end. La seule exception à ces horaires a eu lieu durant la nuit passée, en l’occurrence la nuit du destin (kadir gecesi) qui commémore la descente du Coran du ciel sur la terre pour y être révélé, tâche confiée au prophète Mahomet. La mosquée Hirka-ı Şerif, comme de nombreuses autres, était alors ouverte aux fidèles qui pouvaient venir y prier jusqu’au matin.