Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 21 ans.

Du bretzel au simit

Assise et Rome avec des derviches tourneurs

Une fois n'est pas coutume, je vais laisser la place à un autre narrateur, en l'occurrence au Frère Gwénolé Jeusset, franciscain installé à Istanbul depuis un peu plus d'une dizaine d'années qui nous raconte son récent voyage à Assise et Rome avec des derviches-tourneurs

Son article a également été publié dans le magazine « Présence » du mois de mai 2015

« 13 avril 2015 : le temps de déposer nos valises à l'Antonianum, l'Université franciscaine près de Saint Jean de Latran, nous pouvions être au rendez-vous fixé par la communauté Sant'Egidio, Piazza Trastevere à 20 h 00. Nous, c'est-à-dire d'un côté sept derviches et Ismail leur bienfaiteur, de l'autre les six frères d'Istanbul, chargés de motiver l'ensemble de l'Ordre au dialogue oecuménique et interreligieux.

Franciscains et derviches tourneurs sur la place Saint-Pierre de Rome, avril 2015 - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Franciscains et derviches tourneurs sur la place Saint-Pierre de Rome, avril 2015 - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Après des années d'amitié, j'avais proposé au chef spirituel de ce groupe de mevlevis, disciples de Mevlâna que nous connaissons sous le nom de Rûmi, d'aller à Konya, la cité où vécut ce mystique musulman, leur inspirateur. Accompagné de deux laïcs de notre diocèse, nous avions ainsi, en mai 2014, passé trente-six heures dans cette ville. Nous avions surtout médité trente minutes en silence côte à côte, le Dede (ainsi sont appelés les cheikh en turc) et moi devant le tombeau. L'idée avait tant plu à un très généreux ami musulman qu'il était prêt à aider pour d'autres initiatives semblables.

Alors, pourquoi ne pas faire de même au tombeau de Saint François à Assise, mais avec nos communautés et en passant par Rome ! Nous n'avions pas pu prendre ensemble les billets mais invités par la Communauté Sant'Egidio le premier soir, nous avions décidé de nous rejoindre là. Ils avaient été reçus à l'aéroport par notre ami Mustafa Cenap, dirigeant d'un centre de dialogue à Rome qui fut l'ange gardien de ce pèlerinage comme compagnon des uns et des autres et comme traducteur.

Avec l'interreligieux dans ses gènes, la communauté Sant'Egidio avait bien compris notre périple « historique ». Andrea Ricardi, le fondateur, venait vous saluer après la prière, au moment où son compagnon Marco Bartoli et quelques autres nous invitaient à partager leur repas. Cela commençait bien...

Frère Gwénolé et Nail Kesova sheik mevlevi en méditation devant le mausolée de Mevlâna à Konya, mai 2014

photo YML mise à disposition par Frère Gwénolé

De gauche à droite, Frère Gwénolé,  Nail Dede et Murat au Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux devant un tableau symbolique de Paul VI recevant des leaders de l'époque - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

De gauche à droite, Frère Gwénolé, Nail Dede et Murat au Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux devant un tableau symbolique de Paul VI recevant des leaders de l'époque - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

C.D.P.I.

Le jour suivant, mardi 14, nous avions rendez-vous au Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (C.D.P.I.). Tous les derviches étaient là dont certains avaient, pour l'occasion, retardé un enregistrement à la télévision. J'avais estimé que cela nous prendrait une heure, c'en fut deux car le Père Markus Solo, religieux-prêtre indonésien, chargé des relations avec les musulmans d'Asie, sut très vite mettre nos amis à l'aise et les échanges en anglais et turc ne posèrent de problèmes qu'à l'ignare et mal-entendant que je suis.

Le soir, devant ce même représentant du C.D.P.I. et devant des frères et sœurs de la famille franciscaine, avait lieu, à l'Antonianum, la célébration que nous faisons le 27 octobre de chaque année à Saint Louis des Français d'Istanbul. L'atmosphère fut prenante et on sentait que le but était atteint ; l'assemblée était conquise et certaines personnes découvraient un nouvel horizon et une nouvelle espérance. A la sortie, Père Markus demanda la permission de mettre de la musique sur une prière que j'ai composée il y a déjà une quinzaine d'années et placée dans notre célébration. Je songe à proposer à mon frère le Dede qui est aussi compositeur d'en faire autant. Musique indonésienne et musique derviche, j'ai hâte d'entendre cela.

27.10.2013 dans l'église Saint-Louis des Français à Istanbul

27.10.2013 dans l'église Saint-Louis des Français à Istanbul

Place Saint-Pierre

Le mercredi, à partir du C.D.P.I. où nous attendait le Père Markus, franciscains et derviches gagnent la Place Saint-Pierre en habits religieux. Les deux groupes ne passent pas tout à fait inaperçus tandis qu'ils rejoignent l'endroit réservé par le Conseil Pontifical. Même avec ma vue basse, je voyais bien notre bien-aimé François.

Surprise, on vint chercher le Dede et Murat qui parlent italien pour que le Pape les salue à la fin. Murat me raconta avoir eu le temps de glisser : « Nous sommes là comme pèlerins de paix » et François posa une main sur l'épaule de chacun d'eux. Le lendemain, la photo était sur l'Osservatore Romano et pendant deux jours, Murat montrera fièrement le chapelet offert par le Pape, notamment à la Maison générale de notre ordre où, dans la foulée, nous étions invités pour le repas.

Le Pape François posant ses mains sur les épaules du sheik mevlevi de Galata Nail Kesova et du semazen Murat, 15 avril 2015 place Saint-Pierre à Rome - photo publiée dans l'Osservatore Romano

Le Pape François posant ses mains sur les épaules du sheik mevlevi de Galata Nail Kesova et du semazen Murat, 15 avril 2015 place Saint-Pierre à Rome - photo publiée dans l'Osservatore Romano

Assise

Le jeudi 16, un minibus nous emporta vers Assise. Le chauffeur, stressé au possible tout au long du parcours avait-il aux tripes la peur ancestrale du Turc dans la péninsule ? Il finit par nous laisser tomber sur une place imprévue.

Aux Carceri, les derviches découvrirent les grottes où les premiers « frati » et leur Père se retiraient souvent dans les bois pour rejoindre leur Seigneur. Puis, ensemble, nos avons visité le monastère de Saint-Damien, là où François d'Assise reçut l'appel à « réparer » l'Eglise et où vécut Sainte-Claire qui reçut la visite de mercenaires musulmans de l'empereur chrétien. Notre groupe pacifique et fraternel ne fit peur à personne mais causa peut-être un certain étonnement.

 

Le tombeau de Saint-François

Le vendredi 17 avril, nous étions au cœur de notre démarche.

Dans la crypte du Sacro Convento, je rappelais : « En mai 2014, Nail dede et moi étions au mausolée de Mevlâna. Nous voici maintenant au mausolée de Saint-François, le moment le plus important de notre voyage fraternel. Nous allons méditer en silence pendant trente minutes comme nous avions fait à Konya, pour demander l'esprit de paix des meilleurs amis de Dieu. » Quand une demi-heure plus tard, on vint me dire que d'autres groupes attendaient, je me croyais encore au milieu du temps prévu. Quelle grâce !

Mevlevis et franciscains  en méditation silencieuse devant le tombeau de Saint François à Assise le 17 avril 2015, photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Mevlevis et franciscains  en méditation silencieuse devant le tombeau de Saint François à Assise le 17 avril 2015, photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Silvestro, un frère roumain responsable du dialogue interreligieux pour les Franciscains Conventuels entraîna tout le monde à travers l'immense couvent de 1230. A un moment, il remit à notre cher Nail dede une lampe à huile offerte à des croyants de toute religion venant ici en pèlerins de paix. Frère Silvestro (merci pour tout, frère !) conduisit ensuite les anciens de la bande sur la place de l'ancien temple de Minerve transformé en église. Un tableau me surprit qui illustre la mort de Saint-Joseph. Nous avons le même en plus grand dans l'église Santa Maria Draperis à Istanbul. Qui possède l'original ?

 

Tout a une fin

A 18 h, à deux pas et quelques murs (que j'aurais bien vu sauter) de la chapelle de la Portioncule et de l'endroit où Frère François accueillit en chantant « notre sœur la mort, nous commençons notre célébration commune. Comme à Rome, nous écoutons la lettre du Ministre Général des frères mineurs qui voulait être avec nous dans cette salle.

Je suis certain que les fenêtres du ciel sont bien ouvertes et que Fra Francesco et Rûmi sont penchés sur Assise. Un supplément de paradis pour eux surtout au moment de l'Alleluia quand on se donne le baiser de paix. Ils ont sûrement pris dans leurs mains le poids de notre communion pour la faire briller aux yeux de la cour céleste.

A Assise, célébration entre franciscains et mevlevis dans une salle à quelques mètres de l'endroit où est mort Saint François d'Assise, 17 avril 2015 - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

A Assise, célébration entre franciscains et mevlevis dans une salle à quelques mètres de l'endroit où est mort Saint François d'Assise, 17 avril 2015 - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Samedi 18 avril 2015 est le jour du retour. Le rêve a pris fin, notre fraternité toute simple fut constamment visible, notre prière constante, les derviches toujours prêts à me saisir doucement le bras pour éviter que je tombe. « C'est notre père » avait dit Ismail au C.D.P.I. Dans le chaos actuel sur la terre des hommes, aux yeux du Seigneur qui est tendresse, l'amour a triomphé de la haine.

Nous laissons nos frères musulmans a l'Antanianum où ils déposent leurs bagages avant de partir visiter le Colisée tandis que nous partons vers l'aéroport. Non sans cette dernière image : ils viennent tous de mettre autour du cou le Tau franciscain que je leur ai distribué sur l'autoroute qui nous ramenait d'Assise à Rome.

Avril 2015, franciscains de l'église Santa Maria de Draperis d'Istanbul et les derviches tourneurs de Galata dans le cloître du couvent bâti près de la basilique et de la crypte où se trouve le tombeau de Saint François - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Avril 2015, franciscains de l'église Santa Maria de Draperis d'Istanbul et les derviches tourneurs de Galata dans le cloître du couvent bâti près de la basilique et de la crypte où se trouve le tombeau de Saint François - photo mise à disposition par Frère Gwénolé

Ce même soir, notre Ministre Général à peine rentré de voyage m’envoyait le message suivant : « Mon cher Gwénolé, que le Seigneur te bénisse et qu'il bénisse aussi nos chers frères derviches.  Je me réjouis du fait qu'ils ont été bien reçus et qu'ils puissent se solidariser avec nous frères mineurs sans difficulté. Mes salutations spéciales aux derviches ! Fraternellement, Michael »

Deux jours après, Nail Dede  m’écrivait : “Cher Gwenolé, mon frère, merci infiniment pour ce voyage inoubliable et historique. Allah/Dio était avec nous. Mevlâna Celaleddin Rumi dit : "Dans tous les temples où je suis allé, je l’ai vu » ! Nous aussi nous l’avons ressenti. Nous remercions tous les frères et sœurs que nous avons découvert dans cet extraordinaire climat spirituel. Malgré son absence, nous avons senti la présence de votre Supérieur Général, nous le remercions pour avoir permis notre voyage fraternel. Meilleurs souhaits Nail Dede (Kesova) Al Sheikh ul Mevlevi”.

Que dire de plus sinon une supplication pour que cesse la haine et un alleluia jusqu'à l'heure de la grande rencontre où tomberont tous les murs de cette terre.

 

Frère Gwénolé, O.F.M.
 

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S
Coucou,<br /> Tu apprendras beaucoup en étant avec un derviche, qu'il soit dede ou pas, mais je peux te dire que tu as une grande chance ! Mawlana dit vrai, Dieu est auprès de nous, à chaque instant ! Un temple, une église, une mosquée ou une synagogue sont des maisons de Dieu. J'étais dans un village suisse, j'y ai vu une chapelle, j'y suis entrée et j'y ai fait ma prière (face à la Qibla) puisque je suis de confession musulmane. <br /> Douce nuit
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N
J'ai effectivement déjà beaucoup appris au contact des derviches cher Sarvenaz, tout comme auprès des différents hommes et femmes de foi que j'ai le privilège de côtoyer régulièrement... Et en Turquie, je vais régulièrement dans des mosquées et y fait mes prières habituelles catholiques...