3 Janvier 2015
Le monde du soufisme et de la musique pleure depuis hier. Julien JalAl Eddine Weiss aaccompli hier 2 janvier 2015 à 15 h, emporté par le cancer qui le rongeait depuis deux ans.
Né de père alsacien et de mère suisse, Bernard Weiss a vu le jour à Paris où il a grandi. Il entre en 1965 à l'Ecole Normale de Musique et joue de la guitare. Quelques années plus tard, la fièvre du voyage et sa remise en question sur la culture occidentale l'emmènent en Californie, au Maroc et aux Antilles, lui ouvrant ainsi de nouvelles portes sur d'autres cultures. Isabelle Sotto, une jeune vénézuélienne, fille du fondateur de l'art cinétique, le rebaptise Julien qui va devenir et rester son prénom de scène.
A son retour en France en 1974, il compose différents morceaux pour guitare classique et deux ans après découvre l'ud – luth oriental – à travers le célèbre joueur irakien Mounir Bachir. Cette rencontre musicale le perturbe tant qu'il laisse les cordes de la guitare au profit de celles de cet instrument. Sa quête musicale se poursuit avec le kanun, la cithare orientale, qui ne va plus le quitter et devenir son instrument de prédilection. Parcourant l'Orient de long en large, d'Istanbul à Damas en passant par Beyrouth, Bagdad, Tunis et le Caire, il apprend aux côtés de grands maîtres et devient le disciple et l'ami de Mounir Bachir.
Julien Weiss, acharné de travail et perfectionniste jusqu'au bout des ongles, va petit à petit exceller dans la maîtrise de cet instrument fascinant qu'est le kanun et parfaire ses recherches en musique arabe classique jusqu'à en être un expert. Il étudie des années durant les traités musicaux grecs antiques, les théoriciens turcs et byzantins, n'ayant de cesse d'approfondir ses connaissances en matière de musique orientale.
Il passe commande au luthier turc Egder Gülec un prototype de kânun de 102 cordes au lieu des 78 habituelles qui va lui permettre d'accompagner n'importe quel musicien.
En 1983, Julien Weiss fonde l'ensemble instrumental Al-Kindî en référence à un philosophe irakien du IXème siècle. Son groupe, composé de solistes parmi lesquels Ziyâd Kâdî Amin, joueur de ney, Muhammad Qadri Dalal, luthiste et Adel Shams el Din, percussionniste égyptien, entreprend de présenter un répertoire classique sacré et profane composé d'oeuvres historiques et peu ou prou connues.
Le chant, indissociable de la musique, va prendre une place importante dans l'évolution logique d'Al-Kindî qui accompagne les plus grands interprètes du chant profane et sacré, tel le Sheikh Hamza Shakkûr, hymnode de la Grande Mosquée de Damas. C'est avec ce dernier qu'il découvre la liturgie soufie de la ville et crée un concert sacré rythmé par le sema - la danse des derviches tourneurs - présenté à partir de 1994 sur les scènes mondiales les plus prestigieuses.
Entre-temps, Julien s'est converti à l’Islam en 1986 et est devenu JalAl Eddine, rendant ainsi hommage à Jâlal Eddine Rumi, plus grand mystique oriental de tous les temps et inspirateur de la confrérie des derviches tourneurs.
En 2003, il entreprend d'explorer le répertoire de la confrérie soufie Quaderi d'Alep.
Il élit domicile en 2005 et partage son temps entre la mégalopole où il poursuit ses travaux de recherche musicale et la vieille ville d'Alep où il a acquis dix ans plus tôt un palais Mamelouk du XIVème siècle.
Julien JalAl Eddine Weiss est reconnu comme un artisan du dialogue Euro-Arabe et un nom qui restera à jamais gravé dans la sauvegarde et la valorisation du patrimoine musical arabe.
23 février 2013, Julien JalAl Eddine Weiss durant le tournage de l'émission "Turquie : la danse du ciel" pour Arte
Le Prix de la Villa Médicis Hors les Murs qui lui est attribué en 1990 consacre ses travaux sur la musique arabe. Le 14 juillet 2001, il est ordonné Officier des Arts et des Lettres par Catherine Tasca, Ministre de la Culture Française de l'époque.
23 février 2013, Julien JalAl Eddine Weiss durant le tournage de l'émission "Turquie : la danse du ciel" pour Arte
Son regard bleu azur, son franc-parler et son humour parfois caustique mariés à une personnalité atypique, attachante, parfois déroutante, font de cet homme quelqu'un dont la rencontre ne laissait pas indifférent. Derrière une façade qui pouvait paraître fraîche voire glaciale, se cachait une sensibilité exacerbée, un cœur d'or et des doigts de magicien qui ont fait vibrer comme peu savent le faire les cordes de son kanun resté orphelin depuis hier... au même titre que sa famille, ses proches, ses amis...
Plusieurs albums de son groupe Al-Kindî sont disponibles sur le net (également sur İ Cloud).
A Istanbul, vous pouvez en trouver chez le disquaire situé tout au bout de l'avenue İstiklal à Beyoğlu (juste avant l'avenue Galip dede à Tünel, côté gauche de l'avenue en venant d'Istiklal).
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