Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 21 ans.
22 Décembre 2008
Je ne pouvais dresser quelques portraits de turcs d'Alsace sans dresser celui de Semiha Sipahi.
J'ai fait sa connaissance en octobre 2002, lorsque je suis allée prendre mes premiers cours de turc à l'Université Populaire de Mulhouse. L'énergie de cette femme au sourire permanent, qui, en plus de ses nombreuses activités, a oeuvré là de 1995 à 2006, n'a fait que renforcer mon envie d'apprendre les rudiments de cette nouvelle langue que je devais apprivoiser.
Semiha Sipahi, médiatrice interculturelle au centre-social Papin de Mulhouse
Semiha est née à Aksaray, en plein coeur de la Turquie. Son père, avocat à la Karayoları (équivalent de la Direction Départementale de l'Equipement en France), était chargé à l'époque des préemptions de terrain pour la création des routes. De ce fait, elle a grandi dans différentes villes de la Mer Noire (Tirebolu, Trabzon, Giresun), en fonction des endroits où son père était amené à intervenir. A partir de 1970, la famille s'installe à Ankara et Semiha intègre le lycée de jeunes filles avant d'étudier Sciences-Po.
Elle apprend le Code Civil Suisse et le Code Pénal Italien et baigne déjà dans la culture française en étudiant et lisant Voltaire, Rousseau, Zola et Balzac.
Semiha arrive à Paris en 1985 à l'âge de 28 ans avec son fils de 2 ans et demi. Elle vient y rejoindre son mari Adem venu, lui, fin 1982. Le Coup d'Etat Militaire a incité le départ de cet intellectuel qui demande l'asile politique dès son arrivée à Paris avant de se rendre à Dijon pour suivre des cours de français en vivant dans un foyer.
Semiha Sipahi, médiatrice interculturelle au centre-social Papin de Mulhouse
Que faire une fois la famille réunie ? Rester à Paris ou aller en Alsace où une importante communauté turque est déjà installée ? La deuxième solution est adoptée. A leur venue à Mulhouse, la famille loge durant les deux premiers mois dans différentes familles turques avant qu'un pasteur ne leur propose d'occuper un studio appartenant à sa propre famille.
Les débuts ne sont pas faciles, Semiha se souvient des escaliers nettoyés à l'époque pour la modique somme de 5 Francs. Le même pasteur trouve un emploi d'ouvrier agricole pour son mari. Pendant ce temps, Semiha réussit à faire reconnaître son diplôme et poursuit ses études durant un an à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg pour obtenir une maîtrise en économie.
Fin 1987, Adem décide de suivre une formation de technicien agricole et toute la famille part pour Besançon durant un an. Semiha sera la première ouvrière optique turque à travailler dans la célèbre entreprise de Marc Lamy à Morez. La petite famille va finalement rester dans la région 3 ans et demi et leur second enfant naîtra là-bas.
Retrouvailles début novembre 2008 à Istanbul avant de se revoir à Mulhouse quelques semaines plus tard
Leurs anciens propriétaires devenus amis et venus leur rendre visite en Franche-Comté proposent de leur louer un F4 dans leur immeuble. Le retour à Mulhouse se fait en 1991.
Semiha commence par donner bénévolement des cours de français aux femmes de la communauté turque au centre culturel du quartier Bel-Air et à servir d'interprète. En 1992, Semiha propose sa candidature comme médiatrice interculturelle, poste créé au centre Papin par la Ville de Mulhouse et le Fonds d'Action Sociale. Ce poste, qui lui est finalement confié, est destiné à favoriser les relations entre les habitants du quartier et à travailler en relation avec les structures scolaires et administratives.
De nombreuses actions voient le jour : contacts avec et par les écoles, suivi des démarches administratives des étrangers, cours de français, développement de l'identité et de l'autonomie, organisation de soirées culturelles, rencontres avec les autochtones.
Semiha anime le groupe parentalité du mardi au centre Papin
Semiha utilise les bagages acquis durant sa jeunesse pour comprendre les difficultés des personnes déracinées. Elle a été nommée récemment dans l'Ordre National du Mérite, elle qui se définit comme étant d'origine turque et de nationalité française, dans ce pays dont elle est devenue citoyenne.
Même si les débuts en France n'ont guère été faciles, la volonté de réussir et de s'intégrer a gagné. Semiha peut être fière du chemin parcouru, son optimisme et son dynamisme n'y sont pas pour rien, j'en suis certaine ! Comme elle me le disait à juste titre "Vouloir, c'est pouvoir !"